Bangladesh – Apporter à l’Eglise universelle la richesse de l’Eglise locale du Bangladesh

Bangladesh – Apporter à l’Eglise universelle la richesse de l’Eglise locale du Bangladesh

« Apporter à l’Eglise universelle la richesse de l’Eglise locale du Bangladesh » - interview exclusive du cardinal archevêque de DaccaLe 19 novembre dernier, Mgr Patrick D’Rozario est devenu le premier cardinal de l’histoire du Bangladesh, un pays de 160 millions d’habitants principalement de confession musulmane. A 73 ans, Mgr Patrick D’Rozario fait désormais partie des cardinaux électeurs, en cas de conclave à Rome. Membre de la Congrégation de la Sainte-Croix (congrégation fondée en France, dans la Sarthe, en 1837), il est devenu évêque à l’âge de 46 ans, pour le diocèse de Rajshahi, avant d’être nommé à Chittagong en 1995 puis évêque coadjuteur de Dacca en 2010. Archevêque de Dacca en 2011, il assume également la présidence de la Conférence épiscopale du Bangladesh depuis 2010.

Aujourd’hui, dans un Bangladesh meurtri par une vague d’attaques terroristes, le cardinal D’Rozario entend porter un message de paix, tout en endossant un rôle de défenseur des droits des minorités. Le 9 décembre, il a rencontré le Premier ministre, Mme Sheikh Hasina, avec laquelle il s’est entretenu du projet de visite du pape François au Bangladesh, précisant que ce voyage pourrait prendre place à la fin de l’année 2017.

Depuis son évêché de Dacca, le cardinal D’Rozario a été interviewé au téléphone par Vanessa Dougnac pour Eglises d’Asie.

Eglises d’Asie : Que signifie votre nomination de cardinal pour le Bangladesh ?

Cardinal Patrick D’Rozario : La nouvelle de ma nomination a été une grande surprise pour moi. J’étais sous le choc quand j’ai appris l’information le 9 octobre et je me suis même senti personnellement perturbé. Mais quand j’ai compris l’esprit du pape François (le nouveau cardinal a reçu quelques jours plus tard une lettre formelle du pape François, ndlr), j’ai été apaisé. Le pape François a fait ce choix pour universaliser l’Eglise, pour y inclure les gens des périphéries, pour faire exister l’Eglise des pauvres et porter leurs voix… En même temps, il me semble qu’il veut par ce geste reconnaître et confirmer la foi de la petite communauté chrétienne du Bangladesh. Cette nomination est un don pour la nation bangladeshie.

Quelles sont les particularités des chrétiens du Bangladesh ?

Au Bangladesh, les chrétiens représentent une très petite minorité. Nous sommes environ 600 000 chrétiens, dont seulement 350 000 catholiques… Dans ce contexte, il a été très surprenant que le pape Francis choisisse un cardinal au sein d’une section si infime numériquement. C’est donc un grand honneur. Par ailleurs, près de 60 % des catholiques sont issus des populations tribales, les aborigènes, qui sont aussi une petite minorité au sein de la communauté bengalie du Bangladesh.

Comment la minorité chrétienne est-elle perçue au quotidien par les autres communautés ? Les chrétiens peuvent-ils pratiquer leur foi librement au Bangladesh ?

Bien que nous soyons une minorité, nous avons la liberté de pratiquer notre religion. Au niveau de la Constitution et des lois du pays, il n’y a aucun problème.

Quelles sont les activités principales de l’Eglise du Bangladesh ?

Notre communauté chrétienne est très dynamique et très active à l’échelle du pays. Nous considérons que notre rôle social est celui du « sel ». Je cite souvent l’exemple d’une assiette de riz : il n’est pas nécessaire d’y mettre beaucoup de sel et il suffit de quelques grains pour que le riz ait bien meilleur goût… Et c’est ainsi que nous travaillons ! Nous sommes présents partout, que ce soit en matière d’éducation, de santé, d’activités caritatives et de développement socio-économique, en particulier à travers le mouvement des coopératives chrétiennes mais aussi avec un travail de développement qui bénéficie à toutes les communautés. Nous jouons également un rôle important au sein du dialogue interreligieux en privilégiant un dialogue concret avec des actions mais aussi un dialogue sur les enjeux spirituels. Entre 70 et 80 % de ceux qui travaillent dans nos institutions sont issus d’autres religions et sont nos partenaires.

Vous avez été nommé cardinal à un moment où le Bangladesh vit des heures difficiles. Même si la situation est plus calme depuis la mi-juillet, le pays a essuyé des attaques terroristes nombreuses et régulières. Que pensez-vous de la menace des extrémistes islamistes ?

Ces incidents se produisent essentiellement depuis un an (une quarantaine de personnalités a été assassinée par des groupes islamistes au cours des trois dernières années, ndlr). Au début, des individus étaient ciblés, notamment des religieux et des prêtres. Le plus grave incident a été perpétré le 1er juillet dernier par un groupe militant (Dans un café-restaurant du quartier de Gulshan, à Dacca, un commando a procédé à une prise d’otages et a assassiné 22 personnes dont 18 étrangers, principalement des Italiens et des Japonais ; en dépit des revendications émises par l’Etat islamique, le gouvernement impute ces attaques à un groupe local, ndlr), et enfin, le 7 juillet, il y a eu une attaque lors de la prière des musulmans (l’attaque été perpétrée sur une assemblée de fidèles qui célébraient la fin du ramadan, de Sholakia Eidgah, à Kishoreganj, au nord, ndlr).

Je considère qu’aucune de ces attaques ne s’inscrit dans la culture du Bangladesh : elles sont « étrangères » dans le sens où elles n’ont pas de racines dans la réalité des Bangladais. Il s’agit seulement d’une petite minorité de groupes militants à la motivation qui n’est pas religieuse. Ces terroristes ont des motivations politiques et instrumentalisent la religion pour déstabiliser le gouvernement et le pouvoir, susciter une attention internationale pour prouver que le pays ne va pas bien, et cela avec une opposition qui voudrait aussi reprendre le pouvoir (argument utilisé par le parti au pouvoir de l’Awami League qui accuse l’opposition de comploter avec des éléments terroristes, ndlr). Ce n’est pas du fondamentalisme religieux, mais un projet politique qui utilise la religion.

Mais Dieu écrit droit avec des lignes courbes : après tous ces événements tragiques, de bonnes choses aussi se sont produites avec des prises de position très fortes contre le terrorisme. Tous les leaders religieux, musulmans, bouddhistes, chrétiens ou hindous se sont rassemblés et ont discuté ensemble de la religion. Il y a eu une réelle prise de conscience à travers tout le pays, et cela aux côtés des musulmans, qui forment 90 % de la population. L’idée principale est que l’on ne peut pas tuer au nom de la religion. De tout ce mal est sorti quelque chose de positif. Notre identité culturelle est forte et elle constitue un riche héritage d’harmonie religieuse que nous expérimentons au quotidien.

Les chrétiens ont été directement ciblés par les extrémistes islamistes. Qu’est-ce que cela a changé au quotidien sur un plan sécuritaire ?

En effet, nous avons reçu des menaces et, dans certains lieux, le gouvernement met en place la sécurité et la protection nécessaires. Les menaces de ces fondamentalistes religieux ou de ces groupes militants, qui sont moins importantes ces derniers temps, nous obligent à être vigilants et nous ôtent une partie de notre liberté. Mais il faut bien comprendre que ces actes terroristes sont perpétrés par un nombre limité de personnes et ne bénéficient d’aucun soutien de la part de la population musulmane du Bangladesh. Pour cette raison, nous éprouvons en même temps un certain sentiment de sécurité car nous savons que notre voisin n’a rien avoir avec cela.

Concernant la situation politique actuelle au Bangladesh, certaines voix critiques accusent le gouvernement de ne pas protéger suffisamment les minorités. Vous rappeliez notamment que les chrétiens bangladais sont issus des populations aborigènes, particulièrement négligées. Etes- vous d’accord avec cette perception ?

C’est absolument exact. Les minorités sont en effet victimes d’incidents, en particulier les hindous, les bouddhistes et, dans certaines zones, les chrétiens, ainsi que les minorités ethniques issues des groupes aborigènes qui sont victimes d’empiètements sur leurs terres. Il ne s’agit pas de problèmes religieux mais de l’exercice du pouvoir des plus forts sur les plus faibles. Ce sont des injustices sociales. Dans ce contexte, à un niveau local, les représentants du gouvernement et de la police ne réagissent pas toujours pour prendre les mesures adéquates. Certains individus ne prennent pas leurs responsabilités. La situation s’est ainsi aggravée dans certaines régions.

Je pense en particulier aux événements de Gaibandha (le 6 novembre dernier, la police a procédé à l’éviction de 1 200 familles de la tribu Santal pour permettre l’implantation d’une raffinerie de sucre ; face à la résistance des personnes concernées, trois personnes ont été tuées par la police et de nombreuses autres ont été blessées, ndlr). Durant les clashs entre les Santals et la police, des hommes ont été tués et cela n’est pas ce que l’on attend de la police. Et même si la police avait raison, cela ne justifie pas de tuer des gens ! Nous avons protesté. Pas plus tard que ce lundi, j’ai parlé à différents responsables des groupes Santal, aux représentants de la Commission des droits de l’homme et du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), et un comité a été instauré pour enquêter sur les faits et sur la situation. Nous essayons également d’alerter sur le fait que ce genre d’événements visant les populations aborigènes et les minorités n’est pas isolé et nous en appelons à une volonté politique forte.

Est-ce que vous vous voyez comme un cardinal militant en matière d’activisme social ?

L’idée est certes de contacter et de faire pression sur les gens qui occupent des positions importantes au sein du gouvernement. Après avoir été nommé cardinal, j’ai eu une entrevue avec M. Abdul Hamid, le président du Bangladesh, dans le cadre d’une visite de courtoisie. Le 8 décembre, j’ai également rencontré le Premier ministre, Mme Sheikh Hasina. Elle s’est déclarée très heureuse de ma nomination. Elle m’a dit que c’était un grand honneur pour le Bangladesh et m’a reçu très chaleureusement. Nous nous connaissions déjà car elle m’avait invité à participer à des actions en faveur du dialogue interreligieux et à réfléchir à des initiatives concrètes. Cette fois, je lui ai demandé la possibilité d’organiser une interaction entre elle et tous les évêques et représentants de l’Eglise catholique du Bangladesh à la fin du mois de janvier prochain afin de discuter des enjeux suivants : la liberté religieuse, la liberté de diriger nos propres institutions éducatives, et la liberté des populations aborigènes. Nous allons donc organiser cette réunion à la fin du mois de janvier ou peut-être au début du mois de février.

Avez-vous discuté avec le Premier ministre des détails de la visite du pape François au Bangladesh ?

Oui ! En septembre 2015, quand le cardinal Fernando Filoni, du Vatican, était venu au Bangladesh, le Premier ministre lui avait personnellement demandé la possibilité d’inviter le pape. Et c’est ainsi que le projet d’une visite a débuté, qu’il sera ensuite appuyé par la Conférence épiscopale du Bangladesh et aboutira à l’invitation officielle formulée par le Premier ministre. Le pape a déjà annoncé la possibilité de cette visite. Les dates ne sont pas encore fixées mais nous projetons le voyage à la fin de l’année 2017. Le Premier ministre a promis de faire tout son possible et elle pense que ma nomination en tant que cardinal est aussi le signe d’un approfondissement de la relation entre l’Etat et l’Eglise. Nous allons préparer ensemble cette visite.

La visite papale concerne-t-elle un voyage à la fois en Inde et au Bangladesh ?

Oui. Ce serait une visite papale combinée aux deux pays. A présent que notre Saint-Père a exprimé son souhait de venir dans ces deux pays, l’Inde et le Bangladesh doivent désormais travailler positivement ensemble et faire en sorte que la visite se concrétise.

Avez-vous déjà discuté de l’itinéraire du pape et des personnes qu’il rencontrerait ?

Avant la visite prévue avec notre Saint-Père, nous avons eu la visite du pape Jean-Paul II en 1996. C’était il y a des années mais nous avons donc un peu d’expérience… Nous pensons proposer certaines choses qui ne sont pas encore définitives. Le pape ne restera qu’à un seul endroit au Bangladesh : Dacca. Il célèbrera une grande messe pour le public dans le stade de Dacca, selon le vœu du Premier ministre. Il y aura un rassemblement interreligieux avec des gens de différentes religions. Un autre moment important sera une rencontre avec des pauvres et des personnes handicapées que notre Eglise et nos institutions soutiennent à Dacca. Le pape aimera probablement s’adresser aussi aux prêtres et aux évêques du Bangladesh. Et, bien sûr, il rencontrera le président et le Premier ministre.

Vous avez récemment rencontré le pape François à Rome à l’occasion du consistoire au cours duquel vous avez reçu les insignes cardinalices. Quelle impression vous a-t-il fait et comment s’est passée la rencontre ?

J’ai peut-être été nommé cardinal mais, selon notre culture, nous le respectons comme un leader religieux. Il est notre leader. Et rencontrer ainsi notre plus grand leader est une expérience spirituelle. Entendre sa voix, le toucher, l’écouter… c’était une expérience magnifique lors de la cérémonie du consistoire. Quand je me suis agenouillé pour recevoir la barrette pourpre, et la bague de cardinal et puis aussi l’assignation : ce sont des symboles forts et profonds. J’ai dit au pape que les gens du Bangladesh étaient très heureux. Le pape a eu un large sourire et m’a répondu : « J’attends de venir et de tous vous rencontrer. » J’ai ainsi parlé avec lui le 19 novembre, jour de la cérémonie de clôture.

Je pense que le pape François a aussi exprimé quelque chose à travers ma nomination. Il me semble qu’il veut apporter à l’Eglise universelle la richesse de l’Eglise locale du Bangladesh, et il confirme et réengage la foi des chrétiens du Bangladesh qui vivent au milieu de gens d’autres religions. Je pense que le pape aimerait que je porte aux gens en particulier les enseignements sociaux de l’Eglise, comme la justice et la paix. Je pense que c’est le message que je dois communiquer à ma nation. C’est ce que j’espère accomplir.

Source : Eglises d’Asie

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