Cardinal Sarah : la sainte Eucharistie, source et aboutissement de toute prière conjugale et familiale

Cardinal Sarah : la sainte Eucharistie, source et aboutissement de toute prière conjugale et familiale

Le 13 décembre dernier, 800 personnes étaient rassemblées à la cathédrale de Créteil pour écouter SE le Cardinal Robert Sarah parler de “Prière et communion en famille“.

Mgr Santier a ouvert la soirée en expliquant qu’il avait invité le Cardinal à la demande des Associations Familiales Catholiques du Val de Marne. Il l’a ensuite présenté : prêtre guinéen, il est nommé archevêque de Conakry à 33 ans. Il est ensuite appelé à Rome par Jean-Paul II. Cardinal depuis 2010, il est préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements depuis 2014.

Il vous est possible de télécharger ici le texte intégral de l’intervention du cardinal.

Nous vous produisons aujourd’hui de larges extraits de la première partie de son intervention : Les fondements théologiques et spirituels de la prière familiale.

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Je remercie votre évêque Monseigneur Michel Santier de m’avoir invité à m’exprimer sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur : la prière, fondement de la communion dans la famille. Ce thème est en parfaite consonance avec celui de l’ouvrage Prier ensemble à la maison à la préparation duquel le diocèse de Créteil a participé. Après en avoir pris connaissance, j’ai choisi d’en présenter les fondements théologiques et spirituels sous la forme d’une méditation sur la prière conjugale et familiale. (…)

 

 

PREMIERE PARTIE

Les fondements théologiques et spirituels de la prière familiale

 

 

1.      De la prière conjugale à la prière familiale

 

L’amour conjugal : l’allégorie du calice

Chers amis, parents et enfants ici présents, on ne peut parler de la prière en famille sans évoquer d’abord ce qui en constitue le socle, le fondement : l’amour conjugal, qui est sanctifié par le sacrement du mariage.

Vous ne vous étonnerez pas si, en tant que préfet du Dicastère romain chargé du Culte Divin, je choisis une analogie dans le domaine de la liturgie pour vous parler du mariage et donc de l’amour conjugal : cet amour très pur et d’une grande noblesse, qui jaillit du cœur des époux, est semblable à un magnifique calice recouvert d’or fin. Je m’explique.

Qu’est-ce qu’un calice ? Un calice est un vase sacré qui recueille le Sang Très Précieux du Seigneur Jésus, notre Rédempteur, au moment de la Consécration, quand le prêtre prononce les paroles du Seigneur : « Ceci est mon Sang, le Sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, versé pour la multitude en rémission des péchés » (cf. Mt 26, 28). En effet, « par la consécration du pain et du vin s’opère le changement de toute la substance du pain en la substance du Corps du Christ notre Seigneur et de la substance du vin en la substance de son Sang ; ce changement, l’Eglise catholique l’a justement et exactement appelé : transsubstantiation ».

Tout comme la coupe de bénédiction devient le calice d’action de grâces, ou, mieux, le calice du Sacrifice eucharistique, ainsi, le mariage, réalité naturelle créée et voulue par Dieu, figurée par la coupe, est élevé à la dignité de sacrement : en effet, pour continuer à « filer » notre analogie, on peut dire que la coupe de l’amour conjugal se couvre en quelque sorte de l’or fin du sacrement ; elle devient calice, car la source de l’amour des époux chrétiens, qui jaillit du Cœur du Christ, a sa source dans l’acte rédempteur du Christ du Vendredi Saint. Et, dans notre esprit, à l’image de Jésus crucifié, se superposent aussitôt les images, tout aussi réelles, du prêtre qui tend à bout de bras le calice vers la Croix après la consécration : car le Sacrifice de la Croix du Vendredi Saint et la sainte Messe ne font qu’un, tout comme, à cet instant de la consécration du pain et du vin, ne font qu’un Jésus crucifié et le prêtre qui agit en la personne même du Christ, c’est-à-dire en son nom et place (in persona Christi). Ce qui signifie que pour les époux chrétiens, la sainte Messe, celle à laquelle ils participent au moins chaque dimanche en famille, et donc la Communion eucharistique, est la source de leur prière conjugale, la source et aussi son aboutissement. Oui, la prière conjugale et donc familiale, des époux chrétiens et de leurs enfants s’enracine profondément dans l’Eucharistie célébrée, reçue et adorée. Ou bien, si vous préférez cette expression plus lapidaire : « pas de prière chrétienne authentique sans notre acceptation d’offrir notre vie en sacrifice d’Amour et d’agréable odeur à Dieu. Pas de prière chrétienne vraie sans la Messe, sans la sainte Eucharistie ».

 

Une prière eucharistique

Comme nous le disions il y a un instant, la sainte Eucharistie est bien la source et l’aboutissement de toute prière chrétienne, et donc de toute prière conjugale et familiale. De plus, comme le calice est béni par le prêtre, qui le consacre à Dieu pour son usage liturgique, de même l’union de l’homme et de la femme, constituée par leur consentement libre et irrévocable, reçoit une bénédiction particulière, qui a pour nom : « la bénédiction nuptiale », par laquelle le Christ, qui est véritablement le protagoniste de l’union matrimoniale, consacre l’union des époux à un degré que seule la foi nous permet d’appréhender le caractère irréversible et indissoluble quand nous méditons sur les fameuses paroles du Seigneur : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » (Mc 10, 9). Souvenons-nous aussi que l’échange des consentements acquiert sa pleine signification et entre dans les vouloirs divins lorsque le sacrement de mariage est célébré au cœur de la célébration de la Messe, durant laquelle les époux communient : unité des époux, qui « deviennent une seule chair » (Gn 2, 23-24), l’image en ce monde de l’unité du Christ-Epoux et de l’Eglise-Epouse durant la célébration du sacrement de l’unité par excellence : la sainte Eucharistie. En ce sens, on peut affirmer que la prière des époux chrétiens, qu’ils soient à la maison, ou en voyage, est toujours une prière eucharistique5, car elle est reliée à la sainte Messe, durant laquelle ils ont communié le dimanche précédent, et à la célébration eucharistique, où ils communieront le dimanche suivant.

 

2.      Les caractéristiques de la prière familiale

 

La spécificité de la prière chrétienne

Posons-nous maintenant cette question : en quoi la prière chrétienne se distingue-telle d’une autre prière, de celle du musulman, du bouddhiste, de l’animiste… ? Dieu habite donc le cœur des hommes, et sa présence elle-même est prière. Prier répond à un désir profond de l’homme de communiquer avec son Créateur. Dans la prière, l’homme peut se tourner vers Dieu et lui ouvrir son cœur. Il peut se livrer avec une totale confiance et parler de tout sans crainte. L’homme sait instinctivement que Dieu sera toujours là pour l’écouter et le soutenir, mais, dans la prière, l’homme doit surtout apprendre à garder le silence et écouter Dieu. Car, en fait, nous ne savons pas prier. C’est l’Esprit Saint qui prie en nous. Pour le chrétien, prier c’est réaliser la Volonté de Dieu, autrement dit nous comporter en enfants de Dieu et travailler à notre sanctification. Certes, on trouve la prière dans toutes les religions du monde : vos ancêtres les Gaulois eux-mêmes priaient, tout comme mes propres ancêtres, en Guinée, avant l’évangélisation ! Toutefois, quelle est la spécificité de la prière chrétienne, celle de la famille que le sacrement de mariage a constituée comme une petite Eglise domestique ?

Sur la Croix, les mains du Christ sont étendues et ouvertes ; toutefois, les bras de l’unique et vrai Médiateur entre Dieu et l’humanité, Jésus Christ, Dieu fait homme, n’ont plus besoin d’être soutenus ; en effet, Jésus a les mains clouées au bois de la Croix, gage de Victoire définitive par les souffrances de sa Passion rédemptrice. Comme l’affirme la Parole de Dieu en saint Paul, dans l’épître aux Colossiens (2, 15), le Vendredi Saint, au Calvaire, le Christ a dépouillé les principautés et les puissances, il les a livrées en spectacle à la face du monde, en triomphant d’elles par la Croix. En d’autres termes, l’adversaire, Satan, a eu la tête écrasée. C’est pourquoi, nous-mêmes, par notre foi en la Rédemption accomplie sur la Croix, nous sommes délivrés de tout esclavage du péché. Nous sommes délivrés de nos rancunes, de nos mauvaises pensées, des blessures de notre passé, et, Victoire suprême, nous sommes préservés de l’enfer. Pour le chrétien, prier c’est entrer dans le mystère de la Passion du Christ et de sa mort sur la Croix, et supplier le Père avec Lui pour le pardon des péchés des hommes et leur obtenir le Salut éternel.

La prière du chrétien a donc un aspect sacrificiel comme nous allons le voir à propos de la prière conjugale et familiale. Evidemment, le mot « sacrifice » n’est pas du tout à la mode de nos jours ; il fait même peur dans le contexte hédoniste dans lequel nous vivons. Et pourtant, la prière chrétienne authentique, qui, comme nous l’avons dit, est nécessairement une prière eucharistique, c’est-à-dire une action de grâces qui s’insère dans l’offrande du Christ sur la Croix rendue présente au cours de la sainte Messe, la prière chrétienne comporte une dimension sacrificielle, qui s’inscrit dans un combat spirituel. Saint Paul considère la prière comme un combat, une lutte avec Dieu : (Rm 15, 30) : « Mais, je vous le demande, Frères, par Notre Seigneur Jésus Christ, et la charité de l’Esprit, luttez avec moi dans les prières que vous adressez à Dieu pour moi ». Jacob lui-même lutte avec Quelqu’un (Dieu) jusqu’au lever de l’aurore, et lui dit : « Je ne te lâcherai pas avant que tu ne m’aies béni » (Gn 32, 29-33). La prière est vraiment une lutte avec Dieu jusqu’à ce qu’il nous révèle son Nom.

 

Nous sommes ainsi parvenus au cœur de notre propos : le « sacrifice » est le fruit du combat spirituel, celui de Moïse contre ceux qui voulaient exterminer le peuple de Dieu, et donc l’espérance de l’humanité, qui, lui-même, préfigurait le combat définitif, celui du Christ contre Satan, le Prince de ce monde. Ce thème du combat spirituel est présenté ainsi par saint Paul : « Pour cela, prenez l’équipement de Dieu pour le combat ; tenez donc, ayant autour des reins le ceinturon de la vérité, portant la cuirasse de la justice, les pieds chaussés de l’ardeur à annoncer l’Evangile de la paix, et ne quittant jamais le bouclier de la foi, qui vous permettra d’arrêter toutes les flèches enflammées du Mauvais. Prenez le casque du salut et l’épée de l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu. En toutes circonstances, que l’Esprit vous donne de prier et de supplier. Restez éveillés afin de persévérer dans la prière pour tous les fidèles. Priez aussi pour moi » (Ep 6, 13-19). Ce n’est plus Dieu qui revêt les armes pour défendre son peuple, mais c’est le chrétien qui, dans ce monde, pour exprimer sa foi, est en butte à toutes sortes d’oppositions farouches. Cette image de combat n’a de sens que dans le Seigneur. Ce ne sont ni les armes réelles qu’il faut porter, ni un combat homicide qu’il faut soutenir, ce n’est ni l’établissement du Règne de Dieu par les armes, ni une domination à exercer en son nom. Il s’agit de revêtir l’énergie du Ressuscité, l’équipement même de Dieu qui, d’ailleurs, compte plus d’armes défensives qu’offensives. Nous sommes donc bien loin de la prière de relaxation, de type « zen », ou pseudo-bouddhiste, qui est prônée par certains thérapeutes pour soulager le stress de l’homme occidental aux prises avec son angoisse existentielle. Le Seigneur Jésus lui-même nous invite à prier toujours et à ne pas nous décourager (Lc 18, 1). Il nous a donné le parfait exemple pour notre propre vie. L’un des aspects prédominants de sa vie était donc la prière, et une prière intense. Combien de fois les évangélistes affirment avec insistance et nous disent : « Jésus gravit la montagne, à l’écart pour prier » (Mt, 14, 23) ; « Il passait toute la nuit à prier Dieu » (Lc 6, 12). Jésus était sans cesse absorbé dans la prière. Non seulement il nous a donné cet exemple, mais il nous a également laissé le modèle même de la prière : le « Notre Père ». Malheureusement, nous, les hommes et les femmes, qui sommes limités, nous sentons parfois que ce que Dieu nous a donné ne nous suffit pas. Nous pensons qu’il faut faire des ajouts ou des soustractions. Mais savons-nous réellement mieux que Dieu ? Comme les Israélites avant nous, qu’avons-nous fait de son temple aujourd’hui ? Nous désacralisons ces temples du Saint-Esprit que sont nos corps en violant le caractère sacré du mariage, par l’infidélité, la contraception, l’avortement, les manipulations de l’embryon. Nous mangeons et buvons notre propre condamnation en prennent part à l’Eucharistie en état de péché grave. Nous avons transformé les églises en lieux de rencontre conviviale, en salle de concert, en musée pour touristes, au lieu de les respecter comme Maisons, Temples Saints de Dieu et lieux de prière. Nous négligeons de reconnaître sa divine Présence dans le tabernacle, et nous n’avons pour Lui que bien peu de vénération, de respect et de déférence. Nous ne savons plus adorer Dieu en silence. Personne ne se prosterne plus devant la majesté du Seigneur, le Tout-Puissant. Mais, à propos de la prière, le Seigneur la présente aussi à ses apôtres comme un repos, lorsqu’il leur dit notamment : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu » (Mc 6, 31). Il faut avoir de la volonté et de l’énergie spirituelle pour arrêter toute activité même professionnelle, et renoncer à tout loisir, et même aux affaires les plus pressantes pour donner un peu de son temps et de son cœur à Dieu. Il faut beaucoup de courage, de foi et d’amour pour abandonner ses occupations et ses propres intérêts, et offrir à Dieu son temps dans une attitude d’écoute et d’adoration. Voir Dieu, le contempler, se jeter à genoux à ses pieds pour l’adorer est un grand repos et une grande paix pour tout homme. Toutefois, le repos dont il s’agit ici n’est pas l’équivalent d’une séance de yoga ; il s’agit du repos dans le désert… avec Dieu et en Dieu. Nous savons que, dans la Bible, Dieu invite souvent son peuple au désert, et que Jésus lui-même en a fait l’expérience. Or, est-il possible de se reposer dans le désert, cette vaste étendue de sable brûlant, inhospitalier, qui n’est habité que par les chacals et les scorpions ? « Mais jamais de la vie ! », s’exclament nos contemporains, adeptes de la civilisation des loisirs et du bruit incessant. En effet, comment peut-on se reposer dans un endroit désert, où il n’y a ni confort, ni musique, ni cinéma, ni alcool, ni habits de luxe… que sais-je encore… Oui, Frères et Sœurs, le désert n’est pas ce que le monde en proie à la frénésie de la consommation cherche naturellement. Il reste que nous, les chrétiens, nous savons que la vraie nourriture, impérissable, celle de notre âme, n’est pas de ce monde. Elle est au Ciel, et donc elle doit descendre du Ciel vers nous. C’est dans le désert, la solitude et le silence, à l’écart du monde, qu’on peut finalement regarder le Ciel et recevoir pleinement ce qui vient du Ciel, c’est-à-dire rencontrer Jésus, qui est le « pain qui est descendu du Ciel », le « Pain de Vie », et entrer ainsi dans une communion toujours plus intime avec lui. Le Seigneur nous invite au désert pour nous donner le vrai repos. Car, et cela est vrai, le désert sans Jésus, ou le faux désert, celui des biens de consommation et des loisirs, de la solitude de la personne âgée abandonnée et du malade qui attend en vain une visite, ce désert-là n’est qu’une terre vide et stérile, qui engendre tristesse, frustration et dépression. Au contraire, le désert avec Jésus est la porte du Ciel où le vrai bonheur nous attend. C’est le lieu où nous pouvons lutter avec Dieu toute la nuit pour qu’il nous révèle son nom (Gn 32, 23-33). C’est ainsi que Jacob s’éveilla de son sommeil et dit : « En vérité, Yahweh est en ce lieu, et je ne le savais pas ». Puis il ajouta : « Que ce lieu est redoutable ! Ce n’est rien de moins qu’une maison de Dieu et la Porte du Ciel » (Gn 28, 10-19).

 

Une prière contemplative

Le thème biblique du désert nous permet d’évoquer les maîtres et les modèles de vies de prières intense et persévérante, cette vie contemplative qui est si florissante dans votre pays. Regardez les visages des moines et des moniales, ces hommes et ces femmes, qui ont fait de leur vie une offrande, un sacrifice « d’agréable odeur, qui s’élève comme l’encens devant la face de Dieu en offrande du soir » (cf. Ps 140, 2). Par un choix et un appel divin, ils ont accepté d’entrer dans le silence du cloître pour adorer et louer Dieu. Certes, leurs traits sont empreints d’une paix qui n’est pas de ce monde ; on peut même déceler sur leur visage une lumière tamisée par leur humilité, qui irradie leur âme, moins vive, toutefois, que celle qui transparaissait sur celui de Moïse après ses rencontres avec le Très-Haut sur le Mont Sinaï. Et pourtant, ne nous y trompons pas : cette « paix » ne s’acquiert qu’au prix d’un rude combat spirituel. Saint Pierre nous exhortait : « Soyez sobres et vigilants : votre adversaire, le démon, comme un lion qui rugit, va et vient, à la recherche de sa proie. Résistez-lui avec la force de la foi » (1 P5, 8-9).

 

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Dans le livre, qui est paru au mois d’octobre dernier, La force du silence, j’évoque la beauté des moines et des moniales, ainsi que celle de sainte Teresa de Calcutta. Voici deux extraits de cet ouvrage :

– « Il suffit peut-être de regarder avec simplicité et admiration le visage des vieux moines, buriné et brûlé par le silence de Dieu, pour approcher un peu d’un si beau mystère. Les moines sont humainement abîmés, relégués par les enfants du monde, et pourtant, spirituellement irradiés, marqués par la beauté du Christ » (n. 186).

– « Mère Teresa avait le visage calciné par les silences de Dieu mais elle portait et respirait l’amour. À force de se tenir de longues heures devant la flamme brûlante du saint sacrement, son visage était hâlé, transformé par un face-à-face quotidien avec le Seigneur » (n. 187).

 

Le triptyque : ravissement-sacrifice-résurrection

Voyons maintenant comment la prière conjugale, et donc familiale, peut entrer dans cette dimension sacrificielle. Chers amis époux chrétiens ici présents, il suffit pour cela de vous remémorer les trois étapes de votre rencontre avec votre conjoint, qui vous ont conduits à n’être plus qu’un avec lui, et donc à votre union et votre communion dans le mariage. Ces étapes sont semblables à celles de notre vie spirituelle. Elles ont pour noms : le ravissement ou éblouissement, le sacrifice ou offrande de soi-même, et la résurrection. Le ravissement ou l’éblouissement, c’est-à-dire la joie sans mélange d’aimer sans partage, c’est celui qu’évoque le poème d’amour du Cantique des Cantiques de la Bible, celui de l’époux à l’égard de son épouse : « Si tu ne le sais pas, ô la plus belle entre les femmes… ainsi tu m’apparais » (Ct 1, 8-9). Tous les fiancés ont connu cela, et, pour paraphraser le livre de la Genèse : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon » (Ge 1, 31). Les époux font donc l’expérience de la Bonté de Dieu, de la Beauté de sa Création, de son Amour, qui est un ravissement sans pareil à travers la personne de l’homme et de la femme ; la femme, qui est créée, façonnée à partir du côté ouvert de son époux, et donc placée à ses côtés, de même nature humaine, tout en étant différente, ou plutôt complémentaire, celle devant qui l’époux s’exclame dans une extase d’amour : « Voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! » (Ge 2, 23)16. Et cet amour est évidemment réciproque, car, si dans l’ordre de la Création, l’homme sans la femme ressent son incomplétude, la femme de son côté, trouve la quiétude et l’épanouissement près de celui qui s’incline avec respect et tendresse devant elle. Ainsi, le ravissement construit le couple, puisqu’il fonde l’amour exclusif, fidèle et irrévocable des conjoints, et fortifie leur unité indissoluble à partir de la joie du don total et absolu d’eux-mêmes, l’un à l’autre.

Il en est de même dans notre relation avec le Seigneur, et donc de la prière conjugale à ses débuts : chaque soir, à l’oratoire familial, ou au « coin-prière », le couple vient se désaltérer à cette eau vive qui jaillit du Cœur de Jésus, source du sacrement de mariage ; il en reçoit des joies ineffables, qu’il répand dans le cœur de ses enfants, avec ces mots des saints époux italiens béatifiés par le pape saint Jean-Paul II, le 21 octobre 2001, Maria et Luigi Beltrame Quattrocchi : « Sur notre amour humain, fidèle, fécond, ouvert aux autres, Dieu est venu poser le sceau d’un amour surnaturel pour faire de nous ses témoins et ses apôtres », dit Luigi à Maria; et Maria lui répond : « Songe que tu ne dois pas attendre le ciel pour te sentir uni à moi, mais dès maintenant, plus que jamais, toujours plus… Dieu unit, il ne brise pas : car Dieu lui-même est Amour ». J’aurais pu choisir l’exemple d’un couple français, les saints Louis et Zélie Martin : eux aussi ont vécu cette joie du don total et sans retour. Comme vous le voyez, le divorce est le plus grand désastre qu’un homme ou une femme peut connaître, le malheur le plus irréparable.

 

Puis vient la deuxième étape : il s’agit du sacrifice ou offrande de soi-même, qui mène à la résurrection. L’amour, par essence, implique un saut dans l’inconnu, une mort à soi-même, car le véritable amour est un amour qui va jusqu’au bout de l’Amour. Et aller jusqu’au bout de l’Amour, c’est mourir pour ceux qu’on aime. Et c’est aussi leur pardonner. Ce qui implique l’expérience, un jour ou l’autre, de la Croix et donc du sacrifice, qui va sceller définitivement l’unité des époux. En d’autres termes, le caractère définitif et irrévocable de l’union conjugale, qui existe déjà objectivement sur le plan sacramentel depuis l’échange des consentements, va devenir une réalité existentielle. Il s’agit de passer de l’extase du ravissement à l’attitude du Samaritain oignant de l’huile de sa tendresse et de sa délicatesse la plaie plus ou moins cachée que le conjoint découvre dans l’âme de celui qu’il aime sans partage. En d’autres termes, la déception, que l’on ressent un jour ou l’autre, face à une faute ou un manque du conjoint, une carence que l’on ne soupçonnait pas, devient la matière du sacrifice ou offrande de soi-même dans un amour oblatif absolu, certes crucifié, mais purifié de tout égoïsme comme le feu du fondeur, et le nettoyage à la chaux vive des blanchisseurs (cf. Malachie 3, 2). Uni à Jésus crucifié, le couple chrétien fait alors l’expérience d’une véritable « recréation » dans l’ordre de la Rédemption. En effet, les conjoints peuvent dire en toute vérité qu’ils ne font plus qu’UN sur la Croix du Christ. La prière conjugale s’enrichit alors de la dimension du pardon accordé et reçu, qui conduit à la joie de la résurrection, c’est-à-dire à la joie très pure qui ne peut s’exprimer ici-bas que dans les paroles mariales du Magnificat : « Mon âme exalte le Seigneur ; exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur ». On peut dire alors que par le sacrifice ou l’offrande d’eux-mêmes à l’autre, les époux quittent la salle conviviale des noces de Cana pour goûter déjà les joies ineffables des noces éternelles de l’Agneau : celles du Christ-Epoux et de l’Eglise-Epouse, c’est-à-dire, par l’Eglise, qui est le sacrement du salut, de toute l’humanité, une réalité dont les conjoints chrétiens sont le signe par le sacrement de mariage : « Soyons dans la joie, exultons, et rendons gloire à Dieu ! Car elles sont venues, les Noces de l’Agneau, et pour lui son épouse a revêtu sa parure » (Ap 19,7).

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Nous publierons demain la 2° partie de son intervention : éléments concrets de la prière familiale

 

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