Cour administrative d’appel, une vision relativiste de la protection de l’être humain ?

Cour administrative d’appel, une vision relativiste de la protection de l’être humain ?

La Cour administrative d’appel de Paris organisait hier un colloque sur « Le juge administratif et la recherche biomédicale ». Organisée par Patrick Frydmann, Conseiller d’Etat et président de la Cour administrative d’appel de Paris, et Pascale Gonod, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne, le colloque avait vocation à répondre à l’actualité juridique qui portait autant sur les recherches sur l’embryon, sur Vincent Lambert, que sur le transfert des embryons post mortem.

On pouvait s’attendre à une réflexion purement juridique et objective, mais les orateurs disposaient tous d’un pré-requis affiché orientant l’interprétation des textes juridiques vers la relativité de la protection de l’être humain dès le commencement de sa vie. Le débat contradictoire n’a pas trouvé sa place.

La recherche biomédicale ne doit pas être contrainte par le droit

Tel est le premier postulat affirmé par les orateurs. Patrick Frydman s’interroge : « Comment faire pour que le droit n’entrave pas le progrès de la science ? ». Il évoque tout de même les principes, comme celui de « ne pas nuire » ou le principe de précaution, qui doivent encadrer la science et éviter qu’elle ne dérive vers l’industrie. Pour autant, il admet : la « bioéthique est escortée de près, à défaut d’être précédée, par la loi »« La science prend l’homme de vitesse » et le juge est contraint de juger vite pour encadrer a posteriori la bioéthique. Jean-Marie Delarue, conseiller d’Etat honoraire et membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), a, quant à lui, insisté : « S’il y a bien un domaine qui doit rester libre c’est celui de la recherche ».

La dignité une « instance imaginaire » liée au consentement  de la personne

Le deuxième postulat assumé par les orateurs concerne la dignité humaine : un concept relatif qui découle du consentement donné de la personne concernée. Patrick Wachsmann, professeur à l’université de Strasbourg qualifie la dignité «d’instance imaginaire », qui doit se cantonner à certains domaines pour ne pas entraver d’autres. S’appuyant sur les articles 1 et 5 de la Convention d’Oviedo et sur l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme, Patrick Wachsmann tire la dignité du consentement de l’intéressé, de son autonomie. Ainsi, toute recherche sur l’embryon humain se justifie tant que le consentement a été donné par le couple géniteur. De même, le transfert de gamètes en vue d’une insémination post-mortem se justifie au nom de la « continuité du consentement » de la personne décédée.

Mais la logique du consentement suprême, exposé par P.Wachsmann, s’arrête nette sur la GPA. Pour lui, contrairement aux autres domaines, il ne s’agit pas de respecter une quelconque volonté des mères porteuses, mais de protéger une personne en situation de faiblesse. On peut s’étonner que cette analyse spécifique pour la GPA ne puisse s’appliquer, par exemple, à l’embryon humain.

Le statut relatif de l’embryon humain issu d’une dévalorisation de la fécondation  

Thomas Hochmann, professeur à l’Université de Reims, a donné le ton en pointant, souvent de façon ironique, les contradictions des principes constitutionnels allemands selon lesquels la dignité humaine serait intangible et s’appliquerait à l’embryon humain, et à la pratique scientifique et médicale en Allemagne.

Patrick Gaudray, directeur de la recherche au CNRS et ancien membre du comité consultatif national d’éthique, poursuit sur ce ton en dévalorisant la protection octroyée à un embryon humain de 4 cellules. Pour lui, biologiste, cela n’a pas de sens de considérer que le début de la vie se situe au moment de la fécondation : « La fécondation n’est qu’un stade de la vie parmi d’autre, […] ce n’est qu’un avatar dans la longue histoire de la vie ». Il appelle à une « réflexion adulte sur le sujet » décrédibilisant ouvertement ceux qui réprouvent la recherche sur l’embryon.

La rapporteur public, Aurélie Bretonneau (CE) adopte elle aussi une perception partiale de l’embryon humain considérant qu’il n’est protégé par le code civil que s’il fait l’objet d’un projet parental. Autrement dit, pour elle, l’embryon humain serait digne de respect s’il est amené à naître. Elle veut montrer que l’embryon humain n’est pas une personne en droit français, et semble regretter que l’on ait encore du mal à assumer son statut de chose.

Libérer la recherche sur l’embryon et la rendre brevetable

La recherche sur l’embryon humain est encouragée par les orateurs. Pour eux, il est impensable de recourir à des alternatives comme les iPS. Toutes les raisons sont bonnes pour le justifier : même si elles sont comparables aux cellules embryonnaires, elles ne seraient pas « identiques », ; même si elles ont fait l’objet d’un prix Nobel et que les japonais y investissent tous leurs efforts, elles ne feraient pas l’objet d’un consensus scientifique ; même si elles paraissent plus éthiques que l’utilisation de l’embryon humain, elles peuvent aussi donner lieu à des dérives car elles ont la potentialité de créer des gamètes.

Sortant de son domaine de compétence, Julien Sorin ouvre son propos sur une alternative à l’embryon humain, qui selon lui serait plus utile que les iPS : les cellules issues de parthénogenèse. Pour lui, ces cellules auraient au moins l’avantage d’être brevetable explique-t-il. C’est évidemment sans évoquer toutes les dérives éthiques que suppose la parthénogenèse (cf. Les parthénotes humains, source controversée de cellules souches et parthénogenèse humaine : le risque du transhumanisme).

Enfin Dominique Thouvenin, membre du CCNE,  a évoqué la recherche biomédicale en AMP (cf. Projet de loi santé, les enjeux de l’amendement de la recherche sur l’embryon). Elle a précisé que ce régime de recherche mécontentait les chercheurs qui se sentaient plus contraint par l’ANSM et le comité de protection des personnes que par l’Agence de la biomédecine. Pour elle, ce régime de recherche sur l’embryon dans le cadre de l’AMP est une malfaçon gouvernementale et manifeste un manque de concertation entre les ministères de la santé et de la recherche. Elle espère un changement législatif pour intégrer ce régime de recherche en AMP dans le régime de recherche sur l’embryon. Une perspective plus inquiétante encore.

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