De l’utilisation du terme “hors contrat”

De l’utilisation du terme “hors contrat”

De l’utilisation du terme « hors contrat »…

L’auteur fait ici référence à un article paru dans Le Monde le vendredi 10 mars.

Il y a un problème d’entrée de jeu avec les 3 premiers mots du titre : « Ecoles hors contrat », qui suggère qu’on peut se permettre de commenter les pratiques éducatives de cette « catégorie » d’école.
Depuis Aristote, nous avons fait des progrès majeurs en pratiquant la catégorisation, ce qui nous permet de communiquer avec efficacité, et nul doute que cela est éminemment utile. Ceci dit, c’est à manier avec précaution. Dans le cas des « écoles hors contrat », il me semble qu’on pousse l’exercice largement trop loin. Le « hors contrat » est purement un montage juridique technique et administratif, voué à garantir certains droits constitutionnels. Il n’a aucun rapport avec une quelconque pratique éducative, ce qui rend tout commentaire impossible sur ces écoles. On passe à côté du débat en s’essayant à cela. Parmi ces écoles, il y a des traditionalistes où on met l’uniforme, des confessionnelles où on lit les livres sacrés, des démocratiques qui mettent la liberté au centre sans compromis, des Montessori qui pratiquent des approches pédagogiques adaptées à chacun… Bref, il y a de tout.

Aussi, le plus souvent (en tous cas, c’est le cas de toutes les écoles démocratiques), les écoles « hors contrat » le sont par défaut. Ce n’est pas comme « la gauche » ou « la droite » où on se revendique de tel ou tel bord. Personne ne se revendique comme « hors-contrat ». Ce n’est pas une marque, une identité. Nous ne sommes pas une équipe qui serait en compétition contre une autre. En fait, on préférerait même l’autre « équipe » s’il en était ainsi. On préférerait clairement être tous reconnus d’utilité publique et subventionnés par le contribuable. Pourquoi pas ?! Dans le cadre légal et administratif actuel, cependant, le hors-contrat est le seul moyen qu’on a trouvé pour constituer une équipe de personnes qui poursuivent une vision éducative cohérente, et pratiquer autre chose que le programme (non obligatoire, et heureusement) de l’Education Nationale. C’est notre droit, nous avons des raisons que nous estimons pertinentes pour jouir de ce droit, et le hors-contrat est le seul montage administratif qui nous le permette aujourd’hui.

Il y a un réel débat, ceci dit, sur le fait de permettre le hors-contrat ou pas, et ce n’est pas en évaluant leurs approches, leurs résultats et leur performance éducative qu’on avancera dans ce débat, qui a plutôt un caractère philosophique que pratique. Il n’y a rien d’étonnant à ce que dans le privé comme dans le public, il y ait des écoles excellentes et des écoles médiocres, car il existe quantité d’arbitres pour juger les écoles : inspecteurs, journalistes qui relaient la parole des inspecteurs, etc. Nul doute qu’il y aura des « écoles Sudbury », à l’avenir, qui auront mal compris l’approche et feront n’importe quoi tout en s’auto-proclamant « Sudbury ». (Note : « Sudbury » – voilà une catégorie qui semble être assez pure et homogène, et figurez-vous que cela fait 50 ans, pourtant, qu’on se casse la tête pour définir avec justesse ce qu’est cette catégorie d’écoles au juste. Alors le « hors-contrat »… bon, j’arrête d’insister.)

J’arrive donc au débat sur l’existence du hors-contrat, qui est tout à fait d’un autre ordre que celui de leur suffisante performance éducative ou pas. Le « hors-contrat » est une entité administrative qui permet à tout citoyen de se saisir de la question éducative et créer l’école qu’il pense être adaptée à son approche en tant que parent et/ou éducateur. C’est le moyen que l’Etat Républicain a trouvé depuis sa constitution pour respecter l’article 26.3 de la Déclaration Universelle, comme quoi les parents ont la priorité de choisir l’éducation à donner à leurs enfants, dans le cadre du respect des valeurs républicaines.

C’est un droit fondamental, et le Conseil Constitutionnel a sûrement été sensible à cela lorsqu’il a tranché pour censurer une loi qui aurait pu mener à une dérive d’éradication de ce cadre de liberté. Le hors contrat est un vecteur de pluralisme (aspect fondamental d’une démocratie en bonne santé), et il est utilisé par des personnes qui remettent en cause la pratique gouvernementale et qui n’y trouvent pas leur compte. Les valeurs républicaines nous obligent à obéir aux Lois, ce qui est bien différent d’obéir à l’Etat, et il est fort dommage qu’on fasse souvent la confusion entre les deux.

La question est donc : veut-on un système 100% uniforme, centralisé, inspectable selon des programmes et normes d’évaluation fixés par un corps d’inspecteurs généraux ? Ou sommes-nous (toujours) ok pour donner une liberté à tout citoyen qui le voudrait de sortir du programme et créer une école respectant un cadre de liberté plus large : celui de la Loi sur l’Instruction Obligatoire. (Là encore, le débat est très compliqué sur ce qu’est ce socle au juste, le « socle commun » décrétant une liste à la Prévert de 200 compétences difficilement inspectables, alors que la Loi était déjà bien faite à la base (simple, claire et concise), posant un cadre général d’une instruction de base permettant l’intégration dans la vie active et citoyenne (donc aujourd’hui : lire, écrire, compter, utiliser un ordi, coopérer, etc.), en accord avec l’article 26.1 de la Déclaration Universelle.)

Si je devais donc plus brièvement synthétiser ma critique, outre la sur-simplification par une impossible catégorisation, c’est le fait de traiter le sujet au niveau opérationnel alors qu’il est réellement philosophique. La bonne question qui permet un débat constructif est « qui devrait avoir autorité sur l’instruction et l’éducation des enfants ? A qui fait-on confiance au juste ? ». La meilleure réponse que j’ai trouvée pour l’instant (et qui me semble être le consensus des fondateurs de la République Française, maintenu depuis toujours) est que pour préserver le principe de liberté, absolument central à nos valeurs fondamentales, qui font ce que sont la France et le monde démocratique moderne, nous nous devons d’aller dans le sens de l’individu comme ultime souverain de sa propre éducation et celle de ses enfants.

Le rôle de l’Etat est de mettre des ressources optionnelles à disposition pour garantir un droit d’accès à tous à une instruction de base, et rien de plus (c’est ce qui garantit le principe d’égalité du droit à l’instruction de base). On ne peut pas forcer les parents et les enfants à utiliser des ressources éducatives. Cela ne serait plus de l’instruction mais de l’embrigadement. Ce serait contraire à l’article 26.3. Pourtant, il y a une perception largement établie comme quoi il faudrait absolument aller à l’école proposée par l’Etat, car c’est cela qui garantirait l’égalité que l’on viserait. Sortir de l’EN serait aussi critiquable que de sortir de la Sécurité Sociale, alors que ce n’est visiblement pas le même débat ! A ce stade, il est suffisamment clair que l’école telle qu’elle est proposée par l’Etat accroît les inégalités, et on n’avait pas besoin de PISA pour confirmer l’évidence que le système éducatif de l’EN favorise (presque) toujours les mêmes et exclue (presque) toujours les mêmes (cf. Bourdieu. cf. le bon sens. cf. notre expérience personnelle de la vie.) Le Monde a suffisamment attiré l’attention là-dessus, avec justesse.

Ramïn Fahrangi

www.ecole-dynamique.org

 

 Lu sur le blog de la liberté scolaire

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