Entretien – Anne Coffinier – Un recours pour la liberté scolaire

Entretien – Anne Coffinier – Un recours pour la liberté scolaire

Le gouvernement Hollande a pris une série de mesures qui remettent en cause la liberté de l’enseignement à la maison et celle des écoles libres hors contrat. Signe encourageant, un front très diversifié de 16 requérants institutionnels, dont la Fondation pour l’École, a déposé le 30 décembre dernier un recours pour excès de pouvoir contre le décret du 28 octobre. Explication par Anne Coffinier, directrice de la Fondation.

Le gouvernement a fait adopter deux réformes contre les écoles indépendantes : une relative à leur régime d’ouverture, l’autre à leur contrôle académique, une fois qu’elles sont ouvertes. Une coalition de requérants dont vous faites partie a déposé contre la seconde réforme un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’État. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Anne Coffinier : Par l’article 14 déciès de la loi Égalité et citoyenneté adoptée fin décembre, le gouvernement s’est fait habiliter à changer le régime d’ouverture des établissements scolaires hors contrat par ordonnance législative. Mission lui est donnée dans les six mois de « remplacer les régimes de déclaration d’ouverture préalable en vigueur par un régime d’autorisation (…), préciser les motifs pour lesquels les autorités compétentes peuvent refuser d’autoriser l’ouverture, (…) fixer les dispositions régissant l’exercice des fonctions de direction et d’enseignement dans ces établissements (…) ».

Le périmètre de l’habilitation est très vague et porte de plus sur une liberté dont la constitutionnalité est reconnue en France depuis 1977 et dans toutes les déclarations de droits universelles ou européennes. C’est pourquoi les parlementaires requérants (60 députés et 60 sénateurs) sont relativement confiants sur l’invalidation constitutionnelle de l’article.

Par décret du 28 octobre, le gouvernement a en parallèle rendu très ambigu le cadre relatif à l’inspection des écoles hors contrat. Ce qui est clair, c’est que sur le terrain, les inspecteurs se sont raidis : des descentes à 10 inspecteurs dans de petites écoles catholiques ont par exemple eu lieu ! L’article R. 131-13 du code de l’éducation a été modifié et stipule que : « Le contrôle de la maîtrise progressive de chacun des domaines du socle commun est fait au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire, en tenant compte des méthodes pédagogiques retenues par l’établissement ou par les personnes responsables des enfants qui reçoivent l’instruction dans la famille. » Cela signifie que le cadre de référence des inspections sera désormais les programmes officiels de l’Éducation nationale, tels qu’ils sont fixés pour chaque cycle, et non plus le seul socle commun de connaissances à l’issue de l’instruction obligatoire à 16 ans. Si cette réforme est appliquée, ce sera la fin de la liberté de programme et d’approche pédagogique des écoles indépendantes, qui ne différeraient plus à ce titre des écoles sous contrat sans pour autant recevoir des subsides publics !

S’agissant du recours en excès de pouvoir, il est engagé par un certain nombre d’associations de défense de la liberté scolaire, mais également par certaines écoles libres elles-mêmes. Pourquoi ces écoles font-elles front, et pas d’autres ?

Le front constitué avec 16 requérants institutionnels est assez inédit dans ce type de recours. Que le syndicat des employeurs du secteur hors contrat, la FNEP, se retrouve coude à coude avec les syndicats des salariés tels la CGT, FO, etc. pour défendre les écoles libres contre la dérive étatiste et liberticide de l’État, c’est du jamais vu. Que la Fondation pour l’école soit aux côtés de mouvements plutôt proches des écoles éco-citoyennes comme le Printemps de l’éducation est aussi nouveau. La coalition n’a demandé qu’à un nombre volontairement limité d’écoles de se joindre à la procédure car il est difficile pour les avocats de conduire un procès quand les parties sont nombreuses.

Qu’espérez-vous de ce recours ? En cas de déception, envisagez-vous de vous tourner vers les juridictions européennes ?

On espère le gagner, tout en sachant que c’est très politique, hélas ! Quand vous savez que le Conseil constitutionnel est composé de 10 membres dont MM. Jospin, Fabius, Charasse… Il faut à présent porter ces recours dans la prière, arme bien plus massive et moins aléatoire que la Cour européenne ! La constitution de cette coalition est une victoire en soi, qui porte en germe des victoires futures. Savoir collaborer au-delà des différences pour le bien des enfants, en vue de préserver la liberté des familles et des écoles est une chose importante pour les catholiques. Si les recours échouent, nous poursuivrons notre action auprès des membres du futur gouvernement pour qu’il abroge ces textes, dont nous avons passé beaucoup de temps à leur expliquer la profonde nocivité. Sur la question du régime d’autorisation des écoles, il est assez décisif que l’Association des Maires de France, l’Enseignement catholique, et la Conférence des évêques de France se soient clairement opposés à la réforme. Ce sont des oppositions qui comptent, d’autant que la totalité des réseaux d’écoles ont fait savoir aux pouvoirs publics publiquement ou discrètement leur totale opposition à cette réforme liberticide qui donnerait à l’État un droit de vie ou de mort sur tous les projets d’école.

Sur ces sujets, la France se distingue-t-elle de ses voisins européens ?

Le jacobinisme scolaire français handicape clairement notre pays, alors que chez nos voisins, les écoles indépendantes sont perçues comme un atout pour le pays et des mécanismes financiers permettant aux plus pauvres d’y accéder sont mis en place. En Grande-Bretagne, les familles font des sacrifices financiers inouïs et considèrent que c’est le premier de leurs devoirs. En Angleterre, l’impressionnante réforme des free schools s’in­spire clairement des écoles indépendantes. Aux États-Unis, c’est la passionaria du chèque éducation, Betsy DeVos, qui a été nommée ministre de l’Éducation par le Président Trump.

Concrètement, quelle est aujourd’hui la situation des écoles libres en France ?

Il y a 886 groupes scolaires indépendants ou, comptés autrement, 1 408 écoles primaires, collèges et lycées aujourd’hui, qui scolarisent plus de 60 000 élèves. 93 nouveaux établissements ont ouvert à la rentrée. L’essor des écoles indépendantes s’amplifie ; le rythme d’ouverture s’accélère. Ces écoles sont surtout des écoles Montessori ou éco-citoyennes mais aussi, pour un quart, des écoles catholiques de pédagogie explicite (c’est-à-dire progressive, rigoureuse, structurée). Un véritable pluralisme pédagogique et éducatif s’est développé au sein des écoles de confession catholique. Je pense à des ouvertures récentes d’établissements originaux comme l’Académie musicale de Liesse ou Puy du Fou Académie ou l’école bénédictine de l’abbaye de Frigolet.

Quelles actions la Fondation pour l’École mène-t-elle pour aider ces écoles libres ?

La Fondation pour l’école et ses 10 fondations abritées financent les écoles indépendantes pour près de 4 millions d’euros par an ; nous formons les professeurs du primaire et les éducateurs à l’Institut Libre de Formation des Maîtres (www.ilfm-formation.com), faculté libre diplômante qui fête ses 10 ans de service cette année. À l’École professorale de Paris (www.

epparis.org) est dispensée une formation initiale et continue d’élite pour les professeurs du secondaire et du supérieur avec Laurent Lafforgue, Philippe Nemo, Chantal Delsol et le soutien actif de l’établissement scolaire catholique parisien Saint-Jean-de-Passy. Pionniers en ce domaine, nous décernons un label qualité aux écoles qui s’y sont préparées et ont atteint le niveau requis. Nous conseillons et formons les créateurs et directeurs d’école. Nous assurons la défense juridique et la promotion médiatico-politique des écoles indépendantes et de la liberté scolaire.

Tout enfant doit pouvoir bénéficier du libre choix de l’école, que sa famille soit riche ou pauvre. Instaurer un crédit d’impôt permettrait de neutraliser les coûts de scolarité sur une base forfaitaire, et éviterait aux familles de contribuer trois fois au lieu d’une au financement de l’école. Pour toutes ces actions au service des familles, nous avons besoin vraiment de votre soutien.

 

 Anne Coffinier pour l’Homme Nouveau

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