Indonésie – Montée des tensions interreligieuses

Indonésie – Montée des tensions interreligieuses

Tandis qu’à Djakarta les musulmans radicaux étaient capables de rassembler plusieurs centaines de milliers de personnes pour demander la condamnation pour blasphème du gouverneur de la ville, les signes d’une montée des tensions interreligieuses se multiplient dans le pays. Le 6 décembre, à Bandoung (Bandung),une assemblée évangélique a été interrompue par les militants d’une organisation islamique radicale ; à Bekasi, dans la banlieue de Djakarta, quelques centaines de musulmans ont manifesté pour empêcher la construction d’une église catholique.

Le 6 décembre dernier, à Bandoung, dans la province de Java-Ouest, le Rév. Stephen Tong avait loué l’un des auditoriums du principal centre des congrès de la ville, le Sasana Budaya Ganesha Cultural Center. Membre de l’Eglise évangélique réformée d’Indonésie, il y avait invité plusieurs centaines de chrétiens pour une célébration de montée vers Noël. L’assemblée a toutefois été interrompue par l’irruption sur les lieux de militants se réclamant des « Défenseurs de l’Ahlu Sunnah » (PAS – Pembela Ahlu Sunnah). Les leaders du groupe militant ont affirmé que l’assemblée chrétienne était « illégale », les seuls lieux autorisés à accueillir des prières chrétiennes étant les églises. Affirmant que des événements similaires avaient été l’occasion par le passé de tenter de convertir des musulmans au christianisme, Muhammad Ro’in Balad, coordinateur du PAS, a déclaré qu’une telle assemblée était « contraire à la loi qui interdit la diffusion d’une religion à des personnes qui professent déjà une autre religion ». Dans un climat empreint de tension, l’assemblée a dû se disperser.

Différence de traitement

Les réactions ont été nombreuses. Du côté des autorités civiles, elles sont contrastées. Le maire de Bandoung, Ridwan Kamil, a « déploré l’intimidation à laquelle s’est adonné [le PAS] », y voyant une manifestation « inappropriée et contraire à l’esprit de la devise nationale Bhineka Tunggal Ika [‘l’unité dans la diversité’] ». Le gouverneur de Java-Ouest, Ahmad Heryawan, a quant à lui estimé qu’il s’agissait « juste d’un incident mineur » dont « on ne devait pas s’inquiéter ». Ahmad Heryawan est membre du PKS (Parti de la justice et de la prospérité), parti aujourd’hui dans l’opposition et considéré comme proche des musulmans radicaux.

Dans les milieux chrétiens, l’incident n’est pas passé inaperçu. Président d’une association de soutien aux victimes de persécution religieuse, le pasteur Palti Panjaitan estime que ce qui s’est passé à Bandoung ce 6 décembre est typique de l’action des formations extrémistes musulmanes qui estiment que la minorité chrétienne en Indonésie (10 % de la population) menace la majorité musulmane du pays (85 % des 240 millions d’habitants du pays sont considérés comme étant musulmans). Selon lui, l’attitude des autorités est en cause. L’assemblée évangélique se tenait dans un local destiné à la location et elle n’aurait jamais dû être perturbée si le gouvernement et la police prenaient au sérieux la persécution dont sont victimes les minorités en Indonésie, affirme-t-il à l’agence Ucanews« Voyez la différence : quand les musulmans organisent des prières dans les rues de Djakarta, l’Etat met tout en œuvre pour les aider ! », proteste-t-il encore, en référence à la manifestation organisée sous forme d’une gigantesque prière de rue le 2 décembre dernier dans la capitale.

Un climat inquiétant à l’approche de Noël

Selon Hendardi, président du Setara Institute, une ONG de défense des droits de l’homme et de la démocratie, le succès des récentes manifestations dirigées contre le gouverneur de Djakarta, un sino-indonésien chrétien sous le coup d’une inculpation de blasphème, ne peut qu’encourager les groupes extrémistes à passer à l’action. Si les responsables de l’incident de Bandoung ne sont pas interpellés, « d’autres incidents semblables pourraient très bien se produire d’ici Noël », met-il en garde.

Signe de la volatilité de la situation et de leur inquiétude face au climat actuel, les grandes organisations musulmanes de masse ont été promptes à condamner l’incident provoqué par le PAS. Le Nahdlatul Ulama (NU) a demandé au gouvernement « de dissoudre une telle organisation hostile au pluralisme ». Ses responsables ont affirmé que, cette année comme les années précédentes, la branche jeunesse du NU, les Barisan Ansor Serbaguna (Banser), déploierait ses membres durant la période de Noël pour protéger les lieux de culte chrétiens. « Les membres des Banser seront au premier plan pour protéger les concitoyens chrétiens lorsqu’ils mèneront les prières et les célébrations liées à Noël. Nous agissons ainsi au nom de la tolérance », a ainsi déclaré Imam Pituduh, secrétaire général adjoint du NU. De son côté, la Muhammadiyah a annoncé sa volonté d’« intensifier » le dialogue interreligieux. Les extrémistes « ne représentent que quelques groupes ; les musulmans tolérants sont bien plus nombreux », a déclaré le président de la branche jeunesse de la Muhammadiyah, en rappelant que son organisation menait un programme appelé « Nettoyer, Prier et Aimer » par lequel les jeunes Indonésiens sont encouragés à s’engager dans des activités interreligieuses telles que nettoyer et entretenir les lieux de culte, telles les mosquées et les églises.

Afin d’assurer un déroulement paisible des fêtes de Noël, la police a annoncé le déploiement de 155 000 personnels qui seront de permanence entre le 23 décembre et le 2 janvier. En déplacement à Bali ce 8 décembre, le président Joko Widodo a inauguré une conférence internationale sur le thème « Religion, démocratie et tolérance ». Il a insisté sur la « nécessaire tolérance » dans un monde toujours plus « divers ».

Menace contre une église catholique en construction

Par ailleurs, dans les derniers jours du mois de novembre dernier, des musulmans radicaux ont manifesté devant la paroisse Sainte-Claire à Bekasi, une banlieue de Djakarta. La paroisse catholique projette d’édifier une église et, après dix-sept ans de démarches administratives ininterrompues, elle a pu réunir les permis et les autorisations requis par la loi, mais les extrémistes menacent d’« incendier l’église si le chantier devait continuer », rapporte l’agence Fides. Dans le contexte actuel de tensions liées à la campagne électorale en cours pour l’éventuelle réélection du gouverneur de Djakarta, cette affaire vient souligner combien la construction des lieux de culte est une question toujours ultra-sensible et à ce jour non résolue.

Un décret, voté en 2006, est venu durcir un texte de loi datant de 1969 concernant la construction des lieux de culte pour les six religions reconnues par les autorités indonésiennes (islam, protestantisme, catholicisme, hindouisme, bouddhisme et confucianisme). Mais la complexité des règles en vigueur et le droit de veto accordé de facto au voisinage font qu’il est extrêmement difficile pour un groupe religieux minoritaire d’obtenir un permis de construire pour un lieu de culte. A cela s’ajoute le fait que, même dans les cas où ce permis est accordé, des groupes islamistes se permettent de « faire le coup de poing », les autorités locales et la police préférant regarder ailleurs. Elu président de la République en juillet 2014, Joko Widodo avait parmi ses dossiers prioritaires celui de l’harmonie interreligieuse et de la cohabitation entre la très forte majorité musulmane (85 % des 240 millions d’Indonésiens) et les minorités non musulmanes (dont la plus importante est la minorité chrétienne avec environ 10 % de la population du pays). A ce jour, la loi attendue sur la protection des activités religieuses n’a pas été finalisée.

Source : Eglises d’Asie

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