Quand le pape interprète son pontificat à la lumière du dépouillement de Saint François

Quand le pape interprète son pontificat à la lumière du dépouillement de Saint François

Le pape François écrivant à l’évêque d’Assise-Nocera, Mgr Domenico Sorrentino, pour l’inauguration du Sanctuaire du Dépouillement dans l’église Sainte Marie Majeure, antique cathédrale d’Assise, prévue le 20 mai 2017, expose d’une certaine façon l’nspiration de son pontificat et sa vision de l’Eglise.

À mon vénéré frère Mgr Domenico Sorrentino, évêque d’Assise-Nocera Umbra-Gualdo Tadino

Tu m’as informé, cher frère, de ton initiative liée de manière particulière à la visite que tu as faite à Assise le 4 octobre 2013 quand, dans l’évêché, tu t’es arrêté dans la Salle du Dépouillement. Là, on se remémore le geste du jeune François qui se dépouilla, jusqu’à la nudité, de tous ses biens terrestres pour se donner entièrement à Dieu et à ses frères. Pour mettre en lumière cet épisode singulier, tu as voulu ériger, dans l’église Sainte Marie Majeure, antique cathédrale d’Assise, et dans les lieux de l’évêché qui furent témoins de l’événement, le Sanctuaire du Dépouillement. Ainsi, tu as ajouté une perle au panorama religieux de la « Ville séraphique », offrant à la communauté chrétienne et aux pèlerins une autre grande opportunité de laquelle ils peuvent à juste titre espérer des fruits spirituels et pastoraux. Je suis donc heureux d’accompagner par une réflexion et une bénédiction l’inauguration officielle que tu en feras le 20 mai prochain.

Je me souviens bien de l’émotion de ma première visite à Assise. Ayant choisi pour inspiration de mon pontificat le nom de François, la Salle du Dépouillement me faisait revivre avec une intensité particulière ce moment de la vie du saint. Renonçant à tous les biens terrestres, il se déliait du charme du dieu-argent qui avait séduit sa famille, en particulier son père, Pietro di Bernardone. Le jeune converti n’entendait certainement pas manquer du respect dû à son père, mais il se rappelait qu’un baptisé doit mettre l’amour du Christ au-dessus de ses liens affectifs les plus chers. Sur une peinture qui décore la Salle du Dépouillement, le regard contrarié de son père est bien visible, lorsqu’il s’éloigne avec l’argent et les vêtements de son fils tandis que celui-ci, nu mais désormais libre, se jette dans les bras de l’évêque Guido. Dans la Basilique supérieure de Saint François, le même épisode est évoqué par une fresque de Giotto qui souligne l’élan mystique du jeune désormais projeté vers son Père céleste, tandis que l’évêque le couvre de son manteau, pour exprimer l’étreinte maternelle de l’Église.

En venant visiter la Salle du Dépouillement, je t’ai demandé de me faire surtout rencontrer une représentation de pauvres. Dans cette salle si éloquente, ils étaient le témoignage de la scandaleuse réalité d’un monde encore tellement marqué par le fossé entre le nombre sans fin des indigents, souvent privés du strict nécessaire, et la minuscule portion de ceux qui possèdent et détiennent la plus grande partie de la richesse, prétendant déterminer le destin de l’humanité. Malheureusement, deux mille ans après l’annonce de l’Évangile et après huit siècles du témoignage de François, nous sommes devant un phénomène d’ « inégalité mondiale » et d’ « économie qui tue » (cf. exh. ap. Evangelii gaudium, 52-60). La veille exactement de mon arrivée à Assise, dans les eaux de Lampedusa, une grande hécatombe de migrants avait eu lieu. En parlant, dans le lieu du « dépouillement », avec une émotion causée par cet événement qui nous endeuillait, je sentais toute la vérité de ce dont avait témoigné le jeune François : c’est seulement lorsqu’il s’approchait des plus pauvres, à l’époque représentés surtout par les malades de la lèpre, en exerçant envers eux la miséricorde, qu’il expérimentait la « douceur de l’âme et du corps » (Testament, FF 110).

Le nouveau sanctuaire d’Assise naît comme la prophétie d’une société plus juste et solidaire, tout en rappelant à l’Église son devoir de vivre sur les traces de François, en se dépouillant de la mondanité et en se revêtant des valeurs de l’Évangile. Je répète ce que j’ai dit dans la Salle du Dépouillement : « Nous sommes tous appelés à être pauvres, à nous dépouiller de nous-mêmes : et pour cela, nous devons apprendre à rester avec les pauvres, à partager avec celui qui est privé du nécessaire, à toucher la chair du Christ ! Le chrétien n’est pas quelqu’un qui remplit la bouche des pauvres, non ! C’est quelqu’un qui les rencontre, qui les regarde dans les yeux et qui les touche ». Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire que les paroles du Christ caractérisent le chemin et le style de l’Église. Si, dans tant de régions du monde traditionnellement chrétiennes, on observe un éloignement de la foi, nous sommes donc appelés à une nouvelle évangélisation, le secret de notre prédication ne réside pas tant dans la force de nos paroles mais dans la fascination exercée par le témoignage, soutenu par la grâce. Et la condition est que nous n’oubliions pas les indications que le Maître a données à ses apôtres dans le discours sur la mission, faisant à la fois appel à la générosité des évangélisateurs et à l’attention fraternelle à leur égard : « Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. Ne vous procurez ni or ni argent, ni monnaie de cuivre à mettre dans vos ceintures, ni sac pour la route, ni tunique de rechange, ni sandales, ni bâton. L’ouvrier, en effet, mérite sa nourriture. » (Mt 10,8-10)

C’était bien clair pour François d’Assise. Il l’avait assimilé dans la méditation de l’Évangile, mais surtout dans la contemplation du visage du Christ dans les lépreux et sur le Crucifié de Saint Damien, de qui il avait reçu le mandat : « François, va réparer ma maison ». Oui, comme  au temps de François, l’Église a toujours besoin d’être « réparée ». En effet, elle est sainte dans les dons qu’elle reçoit d’en-haut, mais elle est formée de pécheurs et, pour cette raison, elle a toujours besoin de pénitence et de renouvellement. Et comment pourrait-elle se renouveler, sinon en regardant son Seigneur « nu » ? Le Christ est le modèle originel du « dépouillement » comme tu as voulu, cher frère, le souligner en promulguant ta lettre d’institution du nouveau sanctuaire en la solennité de Noël. Dans l’enfant de Bethléem, la gloire divine s’est pour ainsi dire cachée. Elle sera encore plus voilée sur le Golgotha. « Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. » (Ph 2,5-8).

De Noël à Pâques, le chemin du Christ est tout un mystère de « dépouillement». La toute-puissance, d’une certaine manière, s’éclipse afin que la gloire du Verbe fait chair s’exprime surtout dans l’amour et dans la miséricorde. Le dépouillement est un mystère d’amour ! Elle ne signifie pas le mépris des réalités du monde. Et comment le pourrait-elle ? Le monde vient tout entier des mains de Dieu. Dans le Cantique de Frère Soleil, François lui-même nous invite à chanter et à garder la beauté de toutes les créatures. Le dépouillement nous fait bénéficier de celles-ci d’une façon sobre et solidaire, avec une hiérarchie de valeurs qui met l’amour à la première place. En substance, il faut se dépouiller plus que des choses, de soi-même, en mettant à part l’égoïsme qui nous fait nous retrancher dans nos propres intérêts et dans nos biens, nous empêchant de découvrir la beauté de l’autre et la joie de lui ouvrir le cœur. Un chemin chrétien authentique ne mène pas à la tristesse mais à la joie. Dans un monde marqué par tant de « tristesse individualiste » (exh. ap. Evangelii gaudium, 2), le Sanctuaire du Dépouillement se propose d’alimenter dans l’Église et dans la société la joie évangélique, simple et solidaire.

Un bel aspect du nouveau sanctuaire est donné par le fait que, dans l’événement du dépouillement de François, émerge aussi la figure d’un pasteur, l’évêque Guido, qui l’avait probablement connu, sinon carrément accompagné dans son chemin de conversion, et qui maintenant l’accueillait dans son choix décisif. C’est une image de la maternité de l’Église qui mérite d’être redécouverte, tandis que la condition des jeunes, dans un contexte général de crise de la société, soulève des interrogations sérieuses que j’ai voulu mettre en avant en convoquant un synode qui leur soit dédié. Les jeunes ont besoin d’être accueillis, valorisés et accompagnés. Il ne faut pas craindre de leur proposer le Christ et les idéaux exigeants de l’Évangile. Mais il faut pour cela se mettre au milieu d’eux et marcher avec eux. Le nouveau sanctuaire acquiert ainsi aussi la valeur d’un lieu précieux où les jeunes peuvent être aidés dans le discernement de leur vocation. En même temps, les adultes y sont appelés à s’unir d’intentions et de sentiments pour que l’Église fasse émerger toujours plus son caractère familial, et que les nouvelles générations se sentent soutenues dans leur chemin.

Je bénis donc de tout cœur le nouveau sanctuaire, étendant ma bénédiction aux pèlerins qui le visiteront et à toute la communauté diocésaine. Que la Vierge Sainte, à laquelle le sanctuaire reste dédié, fasse sentir toute sa maternelle protection.

Le 16 avril 2017, Pâques de Résurrection.

Traduction de Zenit, Constance Roques

 

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