Thibaud Collin, la France à la lumière de Fatima

Thibaud Collin, la France à la lumière de Fatima

Au terme de cette longue séquence électorale et alors qu’Emmanuel Macron a été élu, la tentation du découragement peut naître chez certains. Le nouveau Président s’est présenté comme l’artisan du renouveau, voire de la « révolution ». Il a pourtant été porté par tous les soutiens de l’ordre actuel, ordre économique, politique, culturel, médiatique. Mais ce paradoxe n’est qu’apparent car notre société, comme beaucoup d’autres, est prise dans ce grand mouvement de liquéfaction propre à la mondialisation économique et culturelle. La rhétorique du changement continue à fasciner certains de nos concitoyens, alors que d’autres sentent plus ou moins confusément que ce changement (« le progrès ») peut être source d’aliénations. Délocalisations, agriculture intensive, manipulations du vivant, droit à l’enfant, multiculturalisme et métissage, transhumanisme, omniprésence des écrans, big data, flux migratoires, vases communicants démographiques, etc. : notre monde est plus que jamais emporté par la démesure et la transgression de toute limite. Face à ce tsunami, le découragement n’est-il pas la conséquence d’un sain réalisme ? S’il ne faut pas « se contenter de dire ce que l’on voit mais de voir ce que l’on voit », comme dit Péguy, comment éviter la désespérance ? Les forces en présence apparaissent si inégales, les phénomènes repérés semblent être greffés si profondément dans le cœur de l’homme ! Ne faut-il pas renoncer au combat de civilisation et fuir dans des thébaïdes ?

La ligne de partage

Il convient de prendre conscience que ce clivage bien qu’il puisse s’incarner dans des partis ou des personnes concerne d’abord chacun d’entre nous. Comme le dit Soljenitsyne, et Dieu sait s’il a eu une expérience profonde du mal subi : « Peu à peu, j’ai découvert que la ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les États, ni les classes, ni les partis, mais qu’elle traverse le cœur de chaque homme et de toute l’humanité. » (L’Archipel du Goulag, 1973). Toute autre attitude serait de l’individualisme et du pharisaïsme.

Cela procéderait en effet d’une abstraction de pans entiers de la réalité humaine. La vie sociale et politique a pour trame la multitude des actes que posent les hommes qui la forment. La société n’est pas une chose indépendante du libre arbitre des hommes. Tous les actes que nous posons, même les plus intimes et « privés » élèvent ou abaissent le corps dont nous sommes membres et ce, même d’un point de vue naturel. Car chaque acte dans lequel nous nous engageons contribue à nous façonner, à faire de nous la personne que nous sommes, et nous dispose à poser des actes du même type. Si nous nous bonifions par nos actes, les bénéficiaires sont tous ceux avec lesquels nous sommes en relation, même s’ils ne s’en rendent pas compte immédiatement. Idem bien sûr si nous nous aliénons par des actes désordonnés.

La responsabilité de chacun

La riche réflexion de saint Jean-Paul II sur les structures de péché (notamment dans Reconciliatio et Pænitentia (1984) n. 17 et Sollicitudo rei socialis [1987] nn. 36-37) permet de mieux saisir la responsabilité de chacun dans l’orientation profonde d’une société et ultimement du monde. La structure de péché désigne toute disposition pratique, objectivée socialement (loi, règlement, service administratif, habitude de vie), aux actes mauvais et qui elle-même est le fruit d’actes mauvais. Ce « péché coagulé » est donc médiateur et facilitateur du mal. Le poids des structures détermine de plus en plus les actes en déformant les consciences et en créant des habitudes de vie. Une volonté droite et un désir sincère du bien ne suffisent pas à s’en libérer. Il faut aussi que l’intelligence soit éveillée et que la conscience morale soit formée selon la vérité intégrale de l’homme.

Nous avons à lutter contre des lois mortifères et injustes, contre des préjugés contraires au bien commun, mais cette lutte ne sera vraie et féconde que si nous acceptons de repérer et de couper tout lien avec ce qui encourage de tels projets et pratiques sociales. La lutte est donc de nature d’abord morale et spirituelle avant d’être culturelle et politique. Bref, c’est en choisissant de descendre au plus profond de nous-mêmes, là où se nouent les enjeux de civilisation, que notre société française pourra évoluer vers le bien. Nous sommes encore dans une période électorale et celle-ci ne doit pas être méprisée, loin de là. Mais comme le dit très bien Gaultier Bès dans son excellent petit livre : « Voter, c’est agir en surface. On ne réorientera pas notre modèle de développement à coups de slogans et d’af­fiches, ni même par le seul truchement de décrets ou de lois venus du sommet de l’État. C’est de la base, des profondeurs du pays, que viendra la sève du renouveau, pas de ses représentants. Soutenir les propositions de tel ou tel candidat sans repenser son propre mode de vie, sans s’efforcer de mettre en œuvre, à son échelle, le programme qu’on voudrait voir appliquer partout, c’est comme arroser du béton : on a beau s’agiter, rien n’y poussera, car les conditions de la vie ne sont tout simplement pas remplies. Il est aussi vain de voter pour la transition énergétique en changeant de smartphone tous les deux ans que de manifester contre les techniques de reproduction artificielle (PMA, GPA) en approuvant les OGM. » (Radicalisons-nous ! La politique par la racine, p. 14, Éd. Première partie, 128 p., 7 €)

Au plus haut point

Ce nécessaire enracinement doit être intégral, à la mesure des défis que notre humanité et que notre société affrontent aujourd’hui. Seul le point le plus élevé, qui est aussi le plus profond, permet d’assumer la totalité de l’ordre humain dans le respect des médiations naturelles. « Seule la lumière qui tombe continuellement du ciel fournit à un arbre l’énergie qui enfonce profondément dans la terre les puissantes racines. L’arbre est en vérité enraciné dans le ciel. » (Simone Weil, Écrits de Londres et dernières lettres, p. 29-30, Gallimard, 1957, 264 p., 12,45 €) Alors en ces jours où nous fêtons le centenaire des apparitions de la Vierge Marie à Fatima, mettons en pratique ces lignes écrites par Marcel Clément concernant un axe majeur du pontificat de Pie XII, si influencé par Fatima : « Le problème n’est pas de se demander si l’on peut sortir de la situation actuelle mais comment. Par la consécration des familles, des groupements de toutes sortes, des nations, du genre humain tout entier au Cœur Immaculée de Marie. » (« La Consécration, acte social », Itinéraires n° 38, décembre 1959, p. 54).

 

Thibaud Collin, pour l’Homme Nouveau

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