Abus sexuels : face à la crise qui frappe l’Eglise, des catholiques se mobilisent

Abus sexuels : face à la crise qui frappe l’Eglise, des catholiques se mobilisent

La foi chevillée au corps malgré la multiplication des scandales qui entament souvent leur confiance en l’institution ecclésiale, des fidèles français agissent dans l’espoir d’un «renouveau» de l’Église catholique.

Le cardinal Barbarin, les accusations contre le nonce apostolique en France, les religieuses abusées, le cardinal Pell… Face à la multiplication des scandales d’abus sexuels dans l’Église, certains fidèles ont décidé de réagir. Comme la demi-douzaine de Lyonnais, hommes et femmes, trentenaires et quadragénaires, célibataires, mariés et divorcés, qui ont fondé fin 2018 Que la lumière soit. Déterminé à «ouvrir un espace de dialogue et de mobilisation», ce collectif lutte «pour que grandisse au sein de l’Église une culture de vérité». Le fait que ce groupe se soit créé dans le diocèse de Lyon, en première ligne dans la crise actuelle, n’est pas anodin. «Là où le péché abonde, la grâce surabonde», glisse Louis Pradel, fondateur de Que la lumière soit.

Pour l’heure, le collectif propose des actions décrites comme «simples», qu’il est fortement conseillé de mener en groupe: visionner des films tels que Spotlight ou Grâce à Dieu, lire des témoignages et rencontrer des victimes, questionner les responsables des paroisses ou des diocèses sur les normes en vigueur…. À moyen terme, le collectif souhaite mettre en place un parcours de «cinq à dix soirées» en paroisse, sur le modèle des parcours Alpha ou Zachée. Encore faut-il trouver une paroisse – voire plusieurs, rêvent les membres du groupe – qui accepterait d’accueillir un tel parcours.

«On marche sur les œufs, tant avec le clergé qu’avec les victimes», reconnaît Clémence Fournel, membre de Que la lumière soit. Cette quadragénaire «profondément chrétienne», pratiquante assidue et paroissienne engagée, occupe une place particulière dans le collectif du fait de son histoire personnelle. En 2005, son père lui a confié juste avant de mourir qu’il avait été victime du père Peyrard pendant son enfance. Pendant 13 ans, elle a gardé le silence, y compris vis-à-vis de sa mère et de ses sœurs. «C’était lourd à porter, je ne savais pas quoi faire de ce secret», raconte-t-elle au Figaro.

Récemment, la gériatre a décidé d’arrêter de se taire, portée par les témoignages de plus en plus nombreux de victimes. «La parole appelle la parole. Je me suis dit qu’il fallait que je me mette à m’exprimer. La honte doit changer de camp», martèle Clémence Fournel. Aujourd’hui, comme pour compenser toutes ces années de secret, elle «a besoin d’être proactive» sur le sujet. «Je veux me battre pour les victimes et pour mon Église. Qu’elle évolue vers plus de vérité. Oui, cette période est difficile, mais elle est aussi salvatrice. J’espère que nous allons assister à un renouveau de l’Église.»

Si la confiance de la quadragénaire en l’institution a été «ébranlée», sa foi, elle, est intacte. «Et même purifiée, tant j’ai l’impression d’avoir approché le Christ», confie cette mère de cinq enfants. «Cette crise est éprouvante, mais ma foi en sort approfondie», renchérit Louis Pradel. Le Lyonnais ne cache pas sa «colère» contre «certains ecclésiastiques», mais invite parallèlement les laïcs à se remettre en cause: «Il est aisé de critiquer, mais il faut aussi se poser la question: “moi-même, qu’ai-je fait pour que tout cela change?”». Et le trentenaire de rappeler que dans sa «lettre au peuple de Dieu» d’août 2018, le pape François a appelé «chaque baptisé à se sentir engagé dans la transformation dont nous avons tant besoin».

«Moi-même, qu’ai-je fait pour que tout cela change?»

Cet appel, Camille de Metz-Noblat l’a aussi entendu. Cette Versaillaise qui accompagnait depuis des années une amie victime d’abus sexuel s’est sentie poussée à passer un cap et à se mettre au service d’autres victimes. Avec une demi-douzaine d’autres catholiques pratiquants, la mère au foyer a fondé Comme une mère aimante. À l’instar de Que la lumière soit, l’association, dont le nom provient d’un motu proprio de 2016, est encore balbutiante. Camille de Metz-Noblat aimerait qu’elle devienne un espace «indépendant des diocèses» où «les victimes pourront trouver une écoute et un soutien venant de laïcs». «Il faut agir!», insiste la quadragénaire, qui espère que cette tempête qui «secoue fortement le bateau de l’Église» obligera «les rats à quitter le navire».

Marie Mullet-Abrassart, présidente des Scouts et Guides de France (SGDF), utilise elle aussi une métaphore navale pour décrire son combat: «On ne quitte pas le bateau au moment où il coule». «Profondément attachée» à l’Église, la trentenaire croit dur comme fer qu’on peut «aimer l’institution mais être lucide sur le fait qu’il s’y passe des choses inacceptables», y compris parfois dans sa propre association. Alors elle a choisi de parler haut et fort, au risque de déranger certains. «S’exprimer de manière constructive, c’est un premier pas. Il faut casser la culture du silence», estime la jeune femme. Les SGDF multiplient donc les initiatives, de la rédaction de tribunes à la mise en place d’outils visant à «libérer la parole» chez leurs adhérents.

Pour les autres actions concrètes, il faudra patienter. «L’effet choc est à son apogée en ce moment, mieux vaut attendre que ça retombe un peu», glisse Marie Mullet-Abrassart. Le blogueur Erwan Le Morhedec, plus connu sous le nom de Koz Toujours, voudrait pourtant que «la reconstruction commence maintenant», tant le chemin lui semble long. Au point que l’avocat se dit presque «résigné» à l’idée qu’il ne verra pas le renouveau de l’Église «de son vivant»… Pas de quoi décourager pour autant l’homme aux 20.000 abonnés sur Twitter, qui a choisi l’«écriture» comme moyen de lutter.

«Les faillites sont trop nombreuses pour que nous suivions aveuglement l’institution sans avoir notre mot à dire. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus déléguer notre confiance», déclare Erwan Le Morhedec. «Nous n’en sommes plus aux petits ajustements. Il faut qu’une nouvelle page s’écrive sous la pression des fidèles!» Un avis partagé par Marie Mullet-Abrassart, Camille de Metz-Noblat, Clémence Fournel et Louis Pradel. Engagés chacun à leur manière, tous ces catholiques qui se sont confiés au Figaro partagent une conviction commune: celle que plus que les responsables de l’institution, ce seront avant tout les laïcs qui feront «bouger» l’Église.

Laïcs et ecclésiastiques ne sont pourtant pas «deux mondes qui s’excluent l’un l’autre», réagit Ségolaine Moog, déléguée de la Conférence des évêques de France (CEF) pour la lutte contre la pédophilie. «Chacun doit prendre sa part! D’où qu’elles viennent, toutes les initiatives qui participent à plus de vérité sont les bienvenues, car elles convergent vers le même objectif», insiste-t-elle. Un objectif résumé dans le dernier message du Conseil permanent de la CEF, composé de dix évêques: «rendre notre Église plus sainte dans la vie de tous ses membres et dans sa manière de vivre».

Source : Le Figaro

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