Accorder une place à l’Eglise catholique pour déboucher sur l’islam de France : le pari risqué de Macron – Laurent Bouvet

Accorder une place à l’Eglise catholique pour déboucher sur l’islam de France : le pari risqué de Macron – Laurent Bouvet

FIGAROVOX.- Le discours de Macron aux Bernardins a été vivement critiqué par une partie de la gauche, qui l’accuse d’atteinte à la laïcité. Mais n’est-ce pas son rôle d’entretenir un dialogue avec les représentants des cultes?

Laurent BOUVET.- S’il est tout à fait normal que le président de la République dialogue avec des représentants des cultes, le cadre (la conférence des évêques de France) comme le contenu du discours (une adresse très empreinte de références religieuses destinée expressément aux catholiques) tenu lundi soir le sont moins pour le chef d’un État laïque. Ce discours s’écarte en effet brutalement de ce qu’un président de la République a coutume de dire sur le sujet, même à des responsables religieux. L’empathie qu’il a manifestée pour son auditoire catholique – tenant à apparaître à plusieurs reprises comme l’un des leurs, ou du moins inspiré par une culture profondément catholique – et l’appel qu’il a lancé à l’investissement politique des croyants ne sont pas conformes sinon à la lettre du moins à l’esprit de la loi de 1905, notamment de son article 2, celui qui établit la séparation de l’Église et de l’État.

La gauche ne se scandalise pas lorsque le président de la République, accompagné du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, se rend à un dîner de rupture du jeûne du ramadan ou au dîner communautaire du Crif. Plus grave, elle est dans le déni concernant la question de la montée de l’islamisme en France…

C’est là en effet l’une des ambiguïtés d’une partie de la gauche, qui se souvient soudain qu’elle est historiquement porteuse de la laïcité lorsque c’est l’Église catholique qui est en cause. Elle défend aujourd’hui à hauts cris ce principe fondamental du pacte républicain contre Emmanuel Macron alors qu’elle critique vigoureusement les défenseurs de la laïcité – qu’elle n’hésite pas à traiter de «laïcards» en reprenant même sans sourciller le mot de Maurras à leur encontre! – le reste du temps. Spécialement lorsque ceux-ci se battent contre le débordement dans la sphère politique de l’islamisme.

La gauche se souvient soudain qu’elle est historiquement porteuse de la laïcité lorsque c’est l’Église catholique qui est en cause.

Ce deux poids deux mesures, perceptible aussi dans l’antisionisme militant affiché désormais quotidiennement de ce côté-là de l’échiquier politique, est insupportable. Il nuit d’ailleurs à la crédibilité d’ensemble de la gauche. Nos concitoyens très majoritairement attachés à la laïcité ne comprennent pas cette complaisance à l’égard de l’islamisme ou a minima ce refus de condamner un discours d’inspiration religieuse, réactionnaire et menaçant pour nos droits et libertés. Il faudrait d’ailleurs pouvoir mesurer précisément le coût électoral d’une telle dérive, mais je formule l’hypothèse qu’il doit être assez lourd.

Sur le fond, qu’avez-vous pensé du discours? Le président était-il à la hauteur des enjeux actuels? Et y a-t-il une part d’opportunisme dans cette démarche?

Ce discours est très important, et il peut, doit même, malgré le désaccord qu’on peut avoir sur le fond avec celui-ci, être lu, compris et critiqué à l’aune du haut niveau de réflexion politique auquel le président a voulu d’emblée se situer. C’est d’ailleurs pourquoi il ne peut pas être uniquement lu, par exemple, ni comme la révélation soudaine de la culture chrétienne du président de la République, ni comme une simple opération de «câlinothérapie» politique à destination d’un électorat catholique qui serait choqué par le durcissement de la politique de l’immigration.

Ce discours doit plutôt être replacé dans le cadre d’une réflexion plus large qu’a annoncée le président de la République sur deux grands sujets au moins.

Le premier tient à la relation de l’État avec les cultes: il s’agit du projet d’intégration du culte musulman dans le cadre républicain. En d’autres termes, il souhaite la mise en place d’un islam de France qui marche, si j’ose dire, contrairement aux tentatives précédentes qui ont échoué, notamment celle du CFCM (conseil français du culte musulman). Or pour réussir un tel projet, le chef de l’État a besoin de modifier l’ensemble de l’équilibre laïque, notamment en matière de financement du culte musulman, celui-ci étant aujourd’hui très dépendant de l’étranger. Ce qui induit un accord voire une association avec l’ensemble des cultes compte tenu des modifications nécessaires des équilibres actuels. C’est notamment pourquoi le président de la République s’est montré très attentif aux représentants des cultes depuis son accession au pouvoir, et donc qu’il a poussé très loin l’offre politique faite aux catholiques dans son discours de lundi soir.

Le second grand sujet qui était en toile de fond du discours tient à l’ambition réformatrice annoncée en matière bioéthique (PMA, GPA, fin de vie…). Et là aussi, de la même manière, le chef de l’État tient à s’appuyer sur les représentants des cultes pour s’assurer de la meilleure réception possible des réformes qu’il envisage. Il veut à tout prix éviter le traumatisme national du débat sur le mariage pour tous en 2013. L’Église catholique étant en la matière la pièce maîtresse, puisqu’elle seule dispose d’un réel pouvoir de mobilisation contre ces réformes. L’associer en amont aux discussions, et plus encore assurer les catholiques de toute son attention et sa considération, voilà qui apparaît clairement comme la stratégie privilégiée par Emmanuel Macron.

Ce pari est-il réaliste? Et en particulier, est-ce que la Conférence des évêques de France (CEF) à laquelle s’est adressé Emmanuel Macron est vraiment représentative des catholiques aujourd’hui?

 

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