Aux sources du chant grégorien – rencontre avec Damien Poisblaud

Aux sources du chant grégorien – rencontre avec Damien Poisblaud

Un entretien de Giovanni F. Ryffel dans Le Regard Libre N° 39 :

Rares sont ceux qui connaissent le chant grégorien. Damien Poisblaud en fait partie. Non seulement il le connaît scientifiquement, mais il le pratique, renouant avec une tradition séculaire. Ce trésor du grégorien, il le transmet. Pour qu’il vive, et continue d’entonner la prière des fidèles. Rencontre à Fribourg lors d’une master class, haute en art et en spiritualité.

Giovanni F. Ryffel : Qu’est-ce qui vous a mené sur la voie du grégorien auquel vous avez consacré votre voix ?

Damien Poisblaud : La voie qui m’a mené vers le grégorien s’est transformée en chemin vers la voix. Ce qui me pousse à dire volontiers que l’on cherche un chant et l’on finit par trouver un chantre, c’est-à-dire quelqu’un qui chante. Quelqu’un qui a une voix, un corps qui résonne : telle est la matière du chant. On voit, dans son chant, une manière d’être du chantre au Moyen Age ainsi que son rapport au monde.

Vous êtes donc passé d’une recherche scientifique à la pratique d’un art.

Simplement, chez moi, le chemin de découverte du grégorien est très vite devenu une découverte de ma propre voix. Je ne pouvais pas en effet approcher véritablement le grégorien sans le geste vocal approprié. Peu à peu, j’ai compris comment se faisaient les ornements, comment penser la justesse des intervalles, les modes et la conduite vocale qui permet au texte de se déployer dans son rythme prosodique.

Qu’est-ce que le « geste vocal » ?

C’est une résonance naturelle, intégrale. Elle résonne de manière sphérique, contrairement à d’autres pratiques qui poussent le son vers l’avant. A tel point que lorsque je donne des cours de grégorien à mes élèves, je leur demande parfois de fermer les yeux, je fais ensuite un tour sur moi-même et personne n’est en mesure de remarquer le moment où je me suis tourné. Le son est complètement multidirectionnel, alors que si je chante avec une voix lyrique, tout le son part vers l’avant.

Peut-on parler d’un chant grégorien ?

Si l’on veut définir le chant grégorien, on va dire que c’est le chant liturgique de l’Eglise latine. Après, on se demandera si le chant bénéventin, le chant mozarabe ou le chant vieux-romain font partie du grégorien. Sans trop de difficulté, on peut les y intégrer en revenant à la définition du grégorien. Mais les particularités ne sont pour autant pas à négliger. Dès le début, il y a eu différentes influences qui ont présidé à l’élaboration du grégorien.

Comment le chant grégorien est-il né ?

Personne ne s’est mis face à une page blanche un jour pour commencer à composer du grégorien. Le seul pour qui le grégorien est arrivé comme une illumination, c’est le pape Grégoire se demandant quoi chanter pour la messe du premier dimanche de l’Avent. Le Saint-Esprit est venu sur lui et lui a inspiré le « Ad te levavi domine ». On voit ainsi que lorsqu’une tradition semble apparaître, elle était en réalité déjà là. Ce n’est pas quelqu’un qui est à l’origine du grégorien, il n’y a pas de nom à donner. D’ailleurs, aucune œuvre de grégorien n’est signée, tout comme les icônes. Il n’y a de surcroît pas d’école ni d’atelier du grégorien. Il s’agit véritablement d’une pratique.

Le grégorien reste néanmoins le fruit d’une culture.

Quand le christianisme a soufflé sur la culture grecque, cela a donné le byzantin ; quand il a soufflé sur le monde latin, cela a donné le grégorien. Plus précisément, le grégorien a un grand corpus que je vois bien avoir été encouragé par le pape Grégoire qui, arrivant d’Orient, voit à Rome différents répertoires. Il s’en pratique aussi à Bénévent ou à Milan entre autres. Le pape déclare alors que ce type de chants est le plus proche de ce que l’Eglise attend pour sa prière. On ne peut en effet pas expliquer comment le bénéventin n’est resté qu’à Bénévent, le milanais qu’à Milan et le vieux-romain qu’à Rome alors que le grégorien s’est propagé dans l’Europe toute entière, laissant des milliers de manuscrits.

Quel est l’intérêt du chant grégorien aujourd’hui, qui paraît en outre difficile d’accès ?

Le grégorien nous est aujourd’hui étranger, c’est une évidence. Il peut sembler sans intérêt et répétitif. Si vous écoutez du byzantin, vous direz que tout se ressemble ; mais apprenez le byzantin et vous verrez des pièces très différentes. Vous écoutez les chants russes, tout semble se ressembler, avoir la même allure, mais apprenez les pièces et vous verrez les différences. Les chants des Pygmées et les chants asiatiques semblent tous se ressembler, mais une fois entrés dans ces chants, on voit leur richesse. Et il en va de même pour tant d’autres traditions. Il y a bien sûr des thèmes, des formules, des habitudes vocales ; ce sont des nécessités.

Enfin, quel est le rapport du chant grégorien au texte biblique ?

En comparaison avec le vieux-romain, le grégorien est extrêmement proche du texte. Il donne ainsi la possibilité d’une exégèse à la fois musicale, mystique et théologique, et permet même à celui qui ne fait qu’écouter de rentrer dans la louange et la prière.

Ecrire à l’auteur : [email protected]

Crédit photo : © Loris S. Musumeci pour Le Regard Libre

 

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