Benoît XVI explique la question de la “justification”

Benoît XVI explique la question de la “justification”

4Un thème épineux et central dans la controverse avec Luther est celui de la justification. Thème que l’éminent théologien Benoit XVI estime essentiel.

Lors des vêpres œcuméniques du 12 septembre 2006 à la cathédrale de Ratisbonne, le pape s’était longuement attardé à commenter ce point complexe.

Alors que son successeur s’est rendu en Suède pour commémorer le 500ème anniversaire de la Réforme, nous vous proposons ce point de catéchèse du souverain pontife de l’époque.

Chers frères et soeurs dans le Christ!

Nous sommes réunis, chrétiens orthodoxes, catholiques et protestants, – des amis juifs se trouvent également avec nous – nous sommes réunis pour chanter ensemble les Louanges vespérales de Dieu. Les Psaumes sont le coeur de cette liturgie, dans lesquels s’unissent l’Ancienne et la Nouvelle Alliance et  où  notre  prière  s’unit à l’Israël croyant qui vit dans l’espérance. Il s’agit d’une heure de gratitude pour le fait que nous puissions ainsi réciter ensemble les psaumes et que, en nous adressant au Seigneur, nous puissions croître également en même temps dans l’unité entre nous.

Parmi les participants à ces Vêpres, je voudrais tout d’abord saluer cordialement les représentants de l’Eglise orthodoxe. Je considère déjà depuis toujours comme un grand don de la Providence le fait que, comme professeur à Bonn, j’ai eu l’occasion de connaître et d’aimer l’Eglise orthodoxe, pour ainsi dire personnellement, c’est-à-dire en la personne de deux jeunes Archimandrites, ensuite devenus Métropolites, Stylianos Harkianakis et Damaskinos Papandreou. A Ratisbonne, grâce aux initiatives de l’Evêque Graber, des rencontres supplémentaires se sont ajoutées:  à l’occasion des Symposiums sur le “Spindlhof” et grâce aux boursiers qui ont étudié ici. Je suis heureux de pouvoir revoir plusieurs visages qui me sont familiers depuis longtemps et de voir les vieilles amitiés retrouvées. Dans quelques jours, reprendra à Belgrade le dialogue théologique sur le thème fondamental de la koinonia, de la communion – dans les deux dimensions que la Première Lettre de Jean nous indique immédiatement au début, dans le premier chapitre. Notre koinonia est tout d’abord une communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ dans l’Esprit Saint; elle est la communion avec Dieu Trine lui-même, rendue possible par le Seigneur à travers son incarnation et l’effusion de l’Esprit. Cette communion avec Dieu crée ensuite également la koinonia entre les hommes, comme participation à la foi des Apôtres et, ainsi, comme communion dans la foi – une communion qui, dans l’Eucharistie, devient “corporelle”, édifiant l’unique Eglise qui s’étend au-delà de toutes les frontières (cf. 1 Jn 1, 3). J’espère et je prie pour que ces entretiens portent des fruits et que la communion avec le Dieu vivant qui nous unit, ainsi que la communion  entre  nous  dans la foi transmise par les Apôtres, s’approfondissent et mûrissent jusqu’à cette pleine unité, à partir de laquelle le monde peut reconnaître que Jésus Christ est véritablement l’envoyé de Dieu, le Fils de Dieu, le Sauveur du monde (cf. Jn 17, 21). “Pour que le monde croie”, il est nécessaire que nous soyons un:  le sérieux de cet engagement doit animer notre dialogue.

Je salue de tout coeur également les amis des diverses traditions de la Réforme. Dans ce contexte également, de nombreux souvenirs se réveillent en moi:  les souvenirs des amis du cercle Jäger-Stählin, qui sont désormais décédés; à ces souvenirs se mêle la gratitude pour les rencontres de ce moment. Bien sûr, je pense en particulier à l’engagement de recherche difficile pour trouver un accord à propos de la justification. Je me rappelle de toutes les phases de ce processus jusqu’à la rencontre mémorable avec le défunt Evêque Hanselmann, ici à Ratisbonne – une rencontre qui put contribuer de manière essentielle à atteindre une conclusion concordante. Je suis heureux que, entre temps, le “Conseil mondial des Eglises méthodistes” ait également adhéré à cette Déclaration. L’accord à propos de la justification reste pour nous un engagement important qui – selon moi – n’est en réalité pas encore complètement accompli:  dans la théologie, la justification est un thème essentiel, mais dans la vie des fidèles – me semble-t-il – il est rarement présent aujourd’hui. Même si en raison des événements dramatiques de notre époque le thème du pardon réciproque se révèle à nouveau dans toute son urgence – nous sommes peu conscients du fait que nous ayons tout d’abord besoin du pardon reçu de Dieu, de la justification à travers Lui. Il n’apparaît plus, en grande partie, à la conscience moderne – et nous tous, d’une certaine façon, sommes “modernes” – le fait que, devant Dieu, nous avons vraiment des dettes et que le péché est une réalité qui ne peut être surmontée que sur l’initiative de Dieu. Derrière cet affaiblissement du thème de la justification et du pardon des péchés se trouve, en définitive, un affaiblissement de notre relation avec Dieu. C’est pourquoi, notre première tâche sera peut-être de redécouvrir de manière nouvelle le Dieu vivant dans notre vie, dans notre temps et dans notre société.

Ecoutons à présent dans cette intention ce que saint Jean souhaitait nous dire, il y a peu, dans la lecture biblique. Je voudrais souligner de manière particulière trois affirmations de ce texte complexe et riche. Le thème central de toute la lecture apparaît dans le verset 15:  “Celui qui confesse que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui et lui en Dieu”. Encore une fois, comme déjà dans les versets 2 et 3 du quatrième chapitre, Jean met en lumière la confession qui, au fond, nous caractérise en tant que chrétiens:  c’est-à-dire la foi dans le fait que Jésus est le Fils de Dieu venu dans la chair. “Dieu, personne ne l’a jamais vu; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le connaître”, lit-on à la fin du prologue du quatrième Evangile (Jn 1, 18). Nous savons par Jésus Christ qui est Dieu:  par l’unique qui est Dieu. C’est à travers Lui que nous entrons en contact avec Dieu. A l’époque des rencontres multireligieuses, nous sommes facilement  tentés d’atténuer un peu cette confession centrale ou même de la cacher. Mais ainsi nous ne rendons pas service à la rencontre, ni au dialogue. Ainsi, nous rendons seulement Dieu moins accessible, aux autres et à nous-mêmes. Il est important que nous mettions en discussion de manière complète, et pas seulement fragmentaire, notre image de Dieu. Pour en être capable, il faut développer et approfondir notre communion personnelle avec le Christ et notre amour pour Lui. Dans cette confession commune et dans cette tâche commune, il n’existe aucune division entre nous. Nous voulons prier, afin que ce fondement commun se renforce toujours davantage.

Cela nous place déjà face au deuxième thème que je souhaitais aborder. On parle de celui-ci dans le verset 14, où on peut lire:  “Et nous, nous avons contemplé et nous attestons que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde”. Le mot central de cette phrase est μαρτυρουˆ μεν – nous témoignons, nous sommes témoins. La confession doit devenir témoignage. La parole sous-jacente μάρτυς, réévoque le fait que le témoin de Jésus Christ doit affirmer son témoignage à travers toute son existence, sa vie et sa mort. L’auteur de la Lettre dit à propos de lui-même:  “Nous avons contemplé”. Etant donné qu’il a contemplé, il peut être un témoin. Cela présuppose cependant que nous aussi – les générations suivantes –  soyons  capables  de  devenir  des voyants, dans le but de pouvoir, en tant que voyants, rendre témoignage. Prions donc le Seigneur de nous rendre voyants! Aidons-nous mutuellement à développer cette capacité, pour pouvoir rendre voyants également les hommes de notre temps, de manière à ce qu’à leur tour, à travers le monde entier qu’ils ont construit, ils réussissent à redécouvrir Dieu! Afin que, franchissant toutes les barrières historiques, ils puissent à nouveau apercevoir Jésus, le Fils envoyé  par  Dieu,  dans  lequel  nous voyons le Père. Dans le verset 9, il est dit que Dieu a envoyé son Fils dans le monde, pour que nous ayons la vie. Ne constatons-nous pas aujourd’hui que ce n’est qu’à travers la rencontre avec Jésus Christ que la vie devient véritablement vie? Etre témoin de Jésus Christ signifie surtout:  être témoin d’une manière de vivre déterminée. Dans un monde plein de confusion, nous devons à nouveau rendre témoignage des orientations qui font de la vie une vie véritable. Nous devons affronter cette importante tâche commune à tous les croyants de manière ferme:  il est de la responsabilité des chrétiens, en cette heure, de rendre visible les orientations pour une vie juste, qui nous sont apparues clairement en Jésus Christ. Sur son chemin de vie, il a résumé toutes les paroles de l’Ecriture:  “Ecoutez-le!” (Mc 9, 7).

Nous sommes ainsi arrivés au troisième mot que je voulais souligner dans cette lecture:  agapè – amour. Telle est la parole guide de toute la Lettre, et en particulier du passage que nous venons d’écouter. Agapè, l’amour comme nous l’enseigne Jean, n’a rien de sentimental ni d’exalté; c’est quelque chose de totalement sobre et réaliste. J’ai cherché à en expliquer certains aspects dans mon Encyclique Deus caritas est. L’agapè, l’amour est véritablement la synthèse de la Loi et des Prophètes. Dans celle-ci tout est “contenu”; un tout qui, dans la vie quotidienne, doit cependant toujours être à nouveau “développé”. Dans le verset 16 de notre texte, on trouve la parole merveilleuse:  “Nous avons cru à l’amour”. Oui, l’homme peut croire à l’amour. Témoignons notre foi, de manière à ce qu’elle puisse apparaître comme la force de l’amour, “pour que le monde croie” (Jn 17, 21)! Amen!

 

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