Sous couvert de miséricorde : la menace qui pèse actuellement sur l’Eglise et sur l’Eucharistie – Père Weinandy

Sous couvert de miséricorde : la menace qui pèse actuellement sur l’Eglise et sur l’Eucharistie – Père Weinandy

Fidèle à sa ligne éditoriale qui donne la parole aux avis divergents, nous reproduisons ici l’extrait d’une conférence du Père Weinandy qui avait adressée une lettre ouverte au Pape François l’été dernier avant de la mettre dans le domaine public le premier novembre sur Settimo Cielo.

La charge est violente et suscitera certainement des réponses que nous publieront.

 

A 72 ans, le Père Weinandy est l’un des théologiens les plus estimés, il vit à Washington au collège de Capucins, l’ordre franciscain dont il fait partie. Il est toujours membre de la Commission théologique internationale associée à la Congrégation vaticane pour la doctrine de la foi, depuis sa nomination en 2014 par le Pape François.

Il a enseigné aux Etats-Unis et dans plusieurs universités, pendant douze ans à Oxford et à l’Université pontificale grégorienne de Rome.

Pendant neuf ans, de 2005 à 2013, il a été directeur exécutif de la Commission doctrinale de Conférence épiscopale des Etats-Unis. Et il a continué à en faire partie comme « advisor » jusqu’au jour de la publication de sa lettre ouverte au Pape François, où il fut contraint de démissionner.

A lui la parole.

*

La menace qui pèse actuellement sur l’Eglise et sur l’Eucharistie

par Thomas G. Weinandy

On ne peut pas nier que l’Eglise postconciliaire a été traversée par de nombreuses divisions et divergences sur la doctrine, la morale et la liturgie. Ces désaccords perdurent encore.  Pourtant, jamais au cours des pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, on n’a douté de ce que l’Eglise enseigne concernant sa doctrine, sa morale et sa pratique liturgique.  […]  Ce n’est plus le cas, et de bien des manières significatives, au cours de l’actuel pontificat du Pape François.

Une menace pour l’unicité de l’Eglise

[…] On dirait parfois que le Pape François se considère non pas comme le promoteur de l’unité mais bien comme l’agent de division. Sa philosophie pratique, pour autant qu’il s’agisse d’une philosophie intentionnelle, semble consister à croire qu’un plus grand bien unificateur finira par émerger du fatras actuel d’opinions divergentes et de la tourmente des divisions qui en résultent.

Je crains qu’une telle approche, même involontaire, ne touche à l’essence même du ministère pétrinien tel que Jésus l’a souhaité et tel qu’il a toujours été compris par l’Eglise. Le successeur de Saint Pierre, par la nature même de sa fonction, est censé littéralement être la personnification et le signe par excellence de la communion ecclésiale de l’Eglise.  […]  En paraissant encourager la division doctrinale et la discorde morale au sein de l’Eglise, le pontificat actuel a transgressé la propriété fondamentale de l’Eglise – son unicité.  Comment cette offense contre l’unité de l’Eglise se manifeste-t-elle ?  Par une déstabilisation des trois autres propriétés de l’Eglise.

Une menace pour l’apostolicité de l’Eglise

Premièrement, on est en train de saper la nature apostolique de l’Eglise. Comme plusieurs théologiens et évêques, mais aussi le plus souvent les laïcs (ceux qui possèdent le « sensum fidelium ») l’ont remarqué, l’enseignement du pape actuel ne brille pas par sa clarté.  […] Comme on l’a vu dans « Amoris Laetitia », cette manière de reconcevoir et d’exprimer une foi apostolique et une tradition magistérielle claires jusque-là d’une nouvelle manière et d’une façon ambigüe, comme pour semer la confusion et la perplexité dans la communauté ecclésiale, revient contredire ses propres devoirs en tant que successeur de Pierre et à enfreindre la confiance de ses frères évêques ainsi que celle des prêtres et de tous les fidèles.

Ignace [d’Antioche] serait consterné d’une telle situation.  Si, pour lui, les enseignements hérétiques embrassés par des personnes n’étant associées que de de loin à l’Eglise nuisait déjà à l’unité de l’Eglise, combien plus dévastateur encore un enseignement ambigu émanent d’un évêque ayant reçu la mission divine de préserver l’unité de l’Eglise peut-il donc être.  […]

De plus, […] ce qui ressemble à un soutien d’une interprétation de la doctrine et de la morale divergeant de l’enseignement reçu des apôtres et de la tradition magistérielle de l’Eglise – telle que définie dogmatiquement par les papes précédents et par les évêques en communion avec lui et telle qu’acceptée et crue par les fidèles – ne peut pas ensuite être proposé comme un enseignement magistériel. […] En matière de foi et de morale, jamais l’enseignement d’un pape en vie ne peut avoir une précédence apostolique et magistérielle sur les enseignements magistériels des précédents pontifes ou sur la doctrine magistérielle telle que la tradition l’a établie.  […] Cet enseignement ambigu du Pape François semble parfois s’aventurer en-dehors de l’enseignement magistériel de la communauté apostolique ecclésiale historique et causer des raisons de se préoccuper parce que, comme nous l’avons dit plus haut, il est source de divisions et de désaccords davantage que d’unité et de paix au sein de l’Eglise, une et apostolique. […]

Une menace pour la catholicité de l’Eglise

Deuxièmement, […] l’universalité de l’Eglise est publiquement manifesté dans le lien que toutes les Eglises particulières ont entre elles, à travers le collège des évêques en communion avec le pape, en professant une même foi apostolique et en prêchant le même Evangile universel à toute l’humanité. […] Cette expression de l’unicité catholique est également menacée.

On a beaucoup vanté l’attachement du Pape François à la synodalité – le fait d’octroyer plus de liberté aux Eglises locales de s’autodéterminer. […]  Cependant, la manière dont le Pape François conçoit cette notion de synodalité et la façon dont elle est promue par d’autres que lui, bien loin d’assurer l’unicité universelle de l’Eglise catholique en tant que communion ecclésiale composée de multiples Eglises particulières, se voit aujourd’hui utilisée à mauvais escient pour donner libre cours aux divisions au sein de l’Eglise. […]

Nous sommes actuellement en train d’assister à la désintégration de la catholicité de l’Eglise puisque des Eglises locales, tant au niveau diocésain de national, interprètent souvent des normes doctrinales et des préceptes moraux de façon conflictuelle et contradictoire. […]  La propriété d’unicité de l’Eglise, une unité que le Pape est divinement mandaté pour protéger et pour engendrer, perd son intégrité parce que les propriétés de catholicité et d’apostolicité ont sombré dans un désarroi moral et doctrinal, une anarchie théologique que le Pape lui-même, sans doute sans le savoir, a provoqués en soutenant une conception erronée de la synodalité.  […]

Une menace pour la sainteté de l’Eglise

Troisièmement, nous en venons à la troisième propriété de l’Eglise – sa sainteté. Cette propriété est également menacée, tout particulièrement, mais sans grande surprise, par rapport à l’Eucharistie.  […]

Pour participer pleinement à l’Eucharistie de l’Eglise, […] chaque personne doit incarner les quatre propriétés de l’Eglise parce que ce n’est qu’ainsi que l’on se trouve en pleine communion avec l’Eglise pour recevoir la communion – le corps ressuscité et le sang de Jésus, la source et le sommet de notre union avec le Père dans l’Esprit-Saint. […]

Le première problème […] touche spécifiquement à la sainteté. Même si chacun doit professer l’unique foi apostolique de l’Eglise, la foi seule ne suffit pas pour recevoir le Christ dans l’Eucharistie.  En se référant à Vatican II, Jean-Paul II affirme que « il convient aussi de persévérer dans la grâce sanctifiante et dans la charité, en demeurant au sein de l’Église ‘de corps’ et ‘de cœur’ » (Ecclesia de Eucharistia 36).  Au début du deuxième siècle, Ignace affirmait la même chose – qu’on ne peut recevoir la communion qu’en « état de grâce » (Ad. Eph. 20).  Par conséquent, conformément au Catéchisme de l’Eglise catholique et au Concile de Trente, Jean-Paul II confirme : « Je désire donc redire que demeure et demeurera toujours valable dans l’Église la norme par laquelle le Concile de Trente a appliqué concrètement la sévère admonition de l’Apôtre Paul, en affirmant que, pour une digne réception de l’Eucharistie, ‘si quelqu’un est conscient d’être en état de péché mortel, il doit, auparavant, confesser ses péchés’ » (ibid.).  Conformément à la tradition doctrinale de l’Eglise, Jean-Paul II insiste sur le fait que l’itinéraire de pénitence, à travers le sacrement de la Réconciliation « devient le passage obligé pour accéder à la pleine participation au Sacrifice eucharistique » en cas de péché mortel (ibid. 37).  Tout en reconnaissance que le jugement sur l’état de grâce revient au seul intéressé, il affirme que « en cas de comportement extérieur gravement, manifestement et durablement contraire à la norme morale, l’Église, dans son souci pastoral du bon ordre communautaire et par respect pour le Sacrement, ne peut pas ne pas se sentir concernée » (ibid.).  Jean-Paul II intensifie son admonition en citant le droit canon.  En cas de « situation de contradiction morale manifeste », c’est-à-dire, selon le droit canon, quand une personne « persiste avec obstination dans un péché grave et manifeste », elle ne doit pas être admise à la communion eucharistique  (ibid.).

C’est ici que nous prenons conscience de la menace qui pèse actuellement sur la sainteté de l’Eglise et plus spécifiquement sur la sainteté de l’Eucharistie. La question de savoir si les couples catholiques divorcés et remariés vivant comme mari et femme peuvent recevoir la communion ou pas tourne autour de cette notion de « comportement extérieur gravement, manifestement et durablement contraire à la norme morale » et donc, de la question de savoir s’ils se trouvent en « situation de contradiction morale manifeste » pour recevoir la communion.

Le Pape François insiste à juste titre pour que de tels couples soient accompagnés et qu’on les aide à former correctement leurs consciences. Bien entendu, il y a des cas exceptionnels de mariages pour lesquels on peut légitimement discerner qu’un précédent mariage était sacramentellement invalide, même s’il n’est pas possible d’obtenir les preuves nécessaires pour une reconnaissance de nullité, ce qui peut permettre à un couple de recevoir la communion.  Toutefois, la façon ambigüe avec laquelle le Pape François propose cet accompagnement pastoral permet à cette situation pastorale d’évoluer vers une pratique habituelle consistant à rapidement faire en sorte que presque tous les couples divorcés et remariés s’estiment libres de recevoir la Sainte Communion.

Cette situation pastorale ne manquera pas de se développer parce que les impératifs moraux négatifs tels que « tu ne commettras pas l’adultère » ne sont plus considérés comme des normes morales absolues à ne pas transgresser mais plutôt comme un idéal moral – un objectif que l’on pourrait atteindre au bout d’un certain temps ou qu’on pourrait très bien ne jamais réaliser au cours de sa vie. Dans cet intervalle de temps indéfini, les gens peuvent continuer, avec la bénédiction de l’Eglise, à faire de leur mieux pour vivre « saintement » et donc à recevoir la communion.  Une telle pratique pastorale a de nombreuses conséquences néfastes sur le plan doctrinal et moral.

Premièrement, permettre à ceux qui sont en état de péché grave manifeste de communier, c’est attenter ouvertement à la sainteté de ce que Jean-Paul II appelle le « Très Saint Sacrement ». Un péché grave, par sa nature même, comme le confirment Ignace, Vatican II et Jean-Paul II, prive la personne de sainteté puisque le Saint-Esprit ne demeure plus en cette personne, ce qui la rend inapte à recevoir la Sainte Communion.  En effet, recevoir la communion dans un tel état, littéralement, de disgrâce constitue un mensonge puisqu’en recevant le sacrement, une personne atteste qu’elle se trouve en communion avec le Christ alors qu’en fait elle ne l’est pas.

De la même manière, une telle pratique constitue également une offense à la sainteté de l’Eglise. Oui, l’Eglise est bien composée de saints et de pécheurs, cependant ceux qui pèchent, c’est-à-dire tous, doivent être des pécheurs-repentants, particulièrement en cas de péché grave, s’ils souhaitent pleinement participer à la liturgie Eucharistique et donc recevoir le très saint corps et le sang de Jésus.  Une personne en état de péché grave peut donc très bien être encore un membre de l’Eglise mais, comme pécheur grave, cette personne ne participe plus à la sainteté de l’Eglise en tant que fidèle sanctifié.  Recevoir la communion dans un tel état d’indignité revient encore une fois à proférer un mensonge étant donné qu’en recevant publiquement ce sacrement, cette personne tente de témoigner publiquement qu’elle est un membre de la communauté ecclésiale vivant et touché par la grâce alors qu’elle ne l’est pas.

Deuxièmement, et peut être par-dessus tout, permettre à ceux qui persistent à manifester un péché grave de recevoir la communion, en faisant passer cela pour un acte de charité, revient à la fois à minimiser le mal d’un péché grave et à calomnier la magnitude et la puissance de l’Esprit Saint. Une telle pratique pastorale revient à accepter que le péché continue de gouverner l’humanité malgré l’œuvre de salut de Jésus et l’onction de l’Esprit Saint donné par lui à tous ceux qui croient et qui sont baptisés.  Jésus n’est donc pas vraiment Seigneur et Sauveur et c’est plutôt Satan qui continue de régner.

De plus, conforter les personnes en état de péché grave ne constitue nullement un acte d’amour ou de charité parce cela revient à les conforter dans un état où elles pourraient être éternellement condamnées et à mettre leur salut en péril. De la même manière, en retour, on insulte également de tels pécheurs graves parce que cela revient à leur dire qu’ils sont si gravement pécheurs que même le Saint Esprit n’est pas assez puissant pour les aider à changer leur conduite peccamineuse et pour les rendre saints.  On les rend donc intrinsèquement in-sauvables.  En fait, ce qui se passe réellement, c’est que l’on affirme ainsi que l’Eglise de Jésus-Christ n’est pas vraiment sainte et qu’elle est donc incapable de sanctifier ses propres membres.

Enfin, ce qui est la conséquence pastorale publique du fait de laisser ceux qui refusent de se repentir d’un péché grave et manifeste recevoir la Sainte Communion, c’est le scandale. Pas tellement parce que les membres fidèles de la communauté Eucharistiques seraient consternés et probablement mécontents mais surtout parce qu’ils seront tentés de penser qu’eux-mêmes peuvent pécher gravement tout en restant en règle avec l’Eglise.  Pourquoi alors se fatiguer à essayer de mener une vie sainte, voire une vie héroïquement vertueuse, si l’Eglise elle-même ne semble pas exiger ni même encourager une telle vie ?  Alors l’Eglise se transforme en une caricature d’elle-même et une telle confusion ne suscite rien d’autre que du mépris et du dédain dans le monde, de la dérision et du cynisme chez les fidèles et, au mieux, un espoir envers et contre tout chez les plus petits.

Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.

Merci à Belgicatho

 

 

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