Le délirant projet “immortaliste“

Le délirant projet “immortaliste“

La nouvelle promesse scientiste qu’évoquait ­Florence Dauly dans La Vien°3765, à propos de l’intelligence artificielle, est d’autant plus redoutable qu’elle avance masquée. Donnant des gages (prétendument) scientifiques, elle propose une utopie difficile à éconduire : l’immortalité. Qui donc refuserait de pouvoir échapper un jour à la mort ? La perspective, cette fois, est plus tentante encore que celles des « lendemains qui chantent » ou de « l’avenir radieux » proclamées jadis par le stalinisme.

D’où l’embarras de ­nombreux scientifiques, le silence peureux d’une majorité de philosophes et l’enthousiasme irréfléchi des médias. Dans cette ­béatitude scientiste, transparaît le désir absurde de construire une réalité anthropologique d’où la mort humaine aurait été vaincue.

Pourquoi « absurde » ? Parce que cette utopie « immortaliste » est porteuse d’un projet ingénument barbare : vouloir rendre l’être humain immortel, c’est ­commettre ce que le juriste Pierre Legendre appelle un « crime innocent ». La finitude, en effet, définit la condition humaine elle-même. La mort n’est pas une imperfection regrettable de ladite condition, elle la définit dans son entier. Nous appartenons à l’espèce humaine, parce que nous sommes mortels, et surtout conscients de notre finitude, à la différence des animaux. Eux aussi sont ­mortels, mais ne le savent pas.

Les mythes grecs soulignaient déjà une différence entre les humains et les dieux. Dans la mythologie, si les dieux s’accouplent avec des mortels, ce n’est pas pour ­s’assurer une descendance puisqu’ils sont ­immortels, c’est pour accéder à « l’ordre humain » organisé autour de la finitude et du renouvellement des générations.

(…)

En France, des intellectuels d’abord indifférents, puis circonspects, deviennent – enfin – de plus en plus critiques à l’endroit de cette fausse utopie « immortaliste ». C’est le cas du philosophe Jean-Michel ­Besnier, qui fut l’un des premiers à s’intéresser au posthumanisme. Aujourd’hui, il ne cache plus son effroi. Qu’il en soit remercié.

Jean Claude Guillebaud

 

Source La Vie

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