D’un catholicisme ancré mais discret à une foi plus assumée chez les footballeurs ?

« L’islam est la première religion de Ligue 1 », dit Daniel Riolo en 2013 pour la sortie de son livre « Racaille Football Club ». Le journaliste y décrit comment un islam revendicatif se développe dans les équipes, avec des joueurs imposant nourriture halal, prières dans les vestiaires ou douches en caleçon. Réalité traduite en Equipe de France, comme l’épisode Knysna en 2010 l’avait montré : imposition du buffet halal et des rites musulmans, clans religieux. Fabien Barthez déclarait lui-même : « quand on rentre dans le vestiaire de l’Equipe de France, on se croirait dans une mosquée ». A l’affirmation identitaire se rajoute le prosélytisme, et parmi les musulmans les plus actifs se trouvent des convertis, blancs ou noirs, souvent à la suite d’un mariage ou sous l’influence de coéquipiers. Cette islamisation de la Ligue 1 rejoint un phénomène général en foot français de montée de l’islam radical, dénoncé en 2015 dans une note des renseignements intitulée « Le sport amateur vecteur de communautarisme et de radicalité ».

Pourtant, ces dernières années, on observe une nouvelle tendance : celle des joueurs français s’affichant ostensiblement chrétiens.

L’Equipe de France est historiquement composée de catholiques, religion majoritaire. Kopa disait « Nous dans le Nord, on se tapait du lundi au vendredi contre les Français. Mais tu sais ce qui a fait le rapprochement ? C’est que tous les dimanches, on était à l’Eglise. Polacks, Français ou autres, on se retrouvait à l’Eglise. C’était un élément fédérateur, un acte de réconciliation générale ». La mère de Platini enseignait le caté, attirant beaucoup de garçons dans sa maison où le déjà célèbre Michel passait parfois. Enfin, les fils de Zidane, Enzo, Lucas, Théo et Elyaz, vivant en Espagne, baignent dans un milieu plus catholique que musulman.

Historiquement, un catholicisme ancré mais discret

Guy Roux se souvient de son enfance : « Quand on avait bien appris le catéchisme, on allait à un match de foot ». Puis, comme entraîneur : « Je me souviens que, dans mon club de l’AJ Auxerre, j’avais des jeunes joueurs polonais qui venaient de la même région que le pape Jean-Paul II. Quand on était en stage, hors de question de leur faire faire un entraînement le dimanche matin, il y avait la messe ! ». L’AJ Auxerre, issu d’un patronage catholique fondé par l’Abbé Deschamps, couleur bleu marial frappé de la croix de Malte, est toujours sous l’égide spirituelle d’un prêtre (le Père Joël Rignault). Le gardien Lionel Charbonnier explique : « A mon époque, le centre de formation était au pied de la cathédrale et l’abbé Bonnefoy en était le directeur. Nous mangions souvent avec lui. Nous étions au patronage Saint-Joseph ». Le club a grandi depuis, et « maintenant, le club possède son centre de formation. Mais il s’est éloigné de ses racines », pense le champion du Monde 1998. Le club est descendu en Ligue 2 en 2012. Inversement, depuis 25 ans, les religieuses de la congrégation Notre-Dame de la Merci héberge des joueurs du centre de formation de Montpellier. Le club est remonté en Ligue 1 en 2009, sacré Champion de France en 2012.

Ce contact avec le catholicisme peut entraîner des conversions. Djibril Cissé, converti de l’islam au christianisme, en est un exemple : « Je suis parti à Nîmes à 14-15 ans et le club mettait les joueurs dans les collèges catholiques. J’ai étudié le catéchisme, j’ai aimé et j’ai décidé de choisir la religion catholique même si je suis issu d’une famille musulmane ». A Lyon, l’attaquant Bafétimbi Gomis a nourri sa foi aux côtés de Bernard Lacombe. « Souvent je vais avec lui prier à l’église. C’est lui qui m’a emmené pour la première fois à Notre-Dame de Fourvière. Il a toujours eu cette belle et grande foi. »

Cela dit, la religion catholique est restée « enfouie ». On découvre la catholicité d’anciens joueurs français revenus aux manettes en club : Bernard Lacombe, Rémi Garde (OL). Pascal Dupraz, entraîneur de Toulouse, a fait des déclarations surprenantes en conférence de presse début avril : « J’ai la foi. Je suis catho et je suis content de l’être, fier de l’être en plus. Je vais à l’église et je respecte ces lieux de culte ».

Il n’est pas rare de voir des joueurs français d’origine africaine ou antillaise parler de leur foi. On pouvait croiser l’attaquant guyanais Jean-Claude Darcheville les dimanches à la messe par exemple. Il est plus étonnant de voir des joueurs français blancs revendiquer leur identité chrétienne. Ces jeunes footballeurs sont sociologiquement éloignés de l’image du « catho » : ils ne viennent pas d’un milieu BCBG ou de haute éducation, ont les goûts musicaux de leur époque (rap pour les plus jeunes). Dans une France sécularisée, l’Eglise est peu tendance. Ce qui rend leurs professions de foi inattendues.

Debuchy : « Je suis catholique et pratiquant, même si ce n’est pas évident pour moi d’aller régulièrement à l’église. Mais je prie tous les soirs pour les miens. Je crois profondément en Dieu, à ce qu’il peut apporter à ma famille. C’est ce que je demande dans mes prières. » Cabaye : « Ma foi occupe une très grande place dans ma vie. J’ai la chance de vivre une très belle vie, sportive, humaine et familiale aussi. J’ai tout ce dont j’ai envie, mais je sais que, du jour au lendemain, tout peut s’arrêter. Je remercie Dieu pour la vie qu’il me donne et lui demande de rester croyant et d’être épargné par le Mauvais. J’ai toujours été plus ou moins croyant, mais plus je grandis et plus ma foi grandit aussi. Aujourd’hui, je ne peux pas faire sans. » « Ma grand-mère est croyante. Chez elle, j’ai toujours vu des croix, des vierges, des bibles, mais elle ne nous a jamais obligés. ». Cabaye, qui lit la Bible durant les déplacements avec l’Equipe de France, ajoute : « Je prie chez moi matin, midi, soir. Je lis aussi des ouvrages pour développer ma foi. Même s’il y a des choses trop intelligentes pour nous, c’est bien d’acquérir certaines bases. » Giroud : « Je suis très croyant. Ma mère m’a initié à la religion et j’ai choisi de me faire baptiser catholique. A 21 ans, je me suis fait tatouer sur le bras droit un psaume tiré de la bible latine qui signifie : L’éternel est mon berger, je ne manquerai de rien. Ça m’apaise. En rentrant sur le terrain, je ne me signe pas mais je fais tout de même une petite prière. » Thauvin : « Je suis baptisé, mais nous n’étions pas spécialement des catholiques pratiquants dans ma famille. A 13 ans, avant un match, j’ai ressenti une douleur. J’ai prié, et le lendemain, je ne sentais plus rien, je pouvais jouer normalement. Depuis ce moment, je prie. J’essaie d’aller le plus souvent à l’église, au moins pour les dates majeures. Le religieux, c’est personnel, j’échange peu avec mes coéquipiers sur ce thème. » Griezmann, parlant de ses tatouages chrétiens : « Je les porte car dans ma famille nous sommes tous très croyants. » « Je suis religieux ». Cabella, croyant non pratiquant, parlant du pensionnat de l’Enfant Jésus de Montpellier : « Je n’oublie pas d’où je viens. »

Le milieu de terrain Yohan Cabaye a témoigné de sa foi à la cathédrale Notre Dame de Treille (qu’il fréquentait régulièrement lors de ses 10 ans de carrière à Lille) en plein Carême, une période qu’il suit « pour vivre un peu de la Passion du Seigneur, être le plus proche possible ».

Ces déclarations révèlent des niveaux de pratique très différents mais une volonté commune de se dire chrétien. Ces footballeurs sont loin d’être tous exemplaires, mais les plus pratiquants d’entre eux sont aussi ceux ayant le meilleur comportement.

Expliquer un phénomène nouveau

Le nombre important de conversions laissait pourtant présager d’un triomphe de l’Islam dans le football français. Le sociologue Stéphane Béaud écrivait en 2011 (en jargonnant) : « Dans un contexte où s’est accru le poids des Maghrébins dans certains quartiers, le groupe des enfants d’Algériens ou de Marocains, qui devient le groupe majoritaire sur le plan de la morphologie sociale, parvient davantage à imposer ses normes sociales et religieuses, notamment à ce moment de flottement des identités qu’est l’adolescence. Dans des quartiers à forte (et durable) surreprésentation de Maghrébins, correspondent dans la durée une visibilité plus grande de l’islam (mosquées, boucheries halal, etc.), une pratique dominante de cette religion, un contrôle social étendu du respect des interdits et une conversion croissante des groupes minoritaires (les Antillais, ceux qu’on appelle « les Gaulois », etc.). »

Quelques années plus tard, un phénomène contraire apparait : « Aujourd’hui, les joueurs catholiques français s’intéressent eux aussi de plus en plus à Dieu et ne s’en cachent pas. Ils prennent exemple sur les musulmans et les joueurs d’Amérique du Sud. », confirme un dirigeant de club qui souhaite rester anonyme.

L’affichage religieux des musulmans a probablement « décomplexé » les autres. La religion devient un sujet fréquent, plus que la politique : « Les joueurs de foot passent beaucoup de temps en déplacement et ils échangent beaucoup sur la religion et leurs cultures respectives. Ils sont curieux et ouverts. Il y a beaucoup de transmissions entre eux », raconte le dirigeant. Une forme de réaction identitaire : si des joueurs se disent musulmans, qui est-on ? On ne peut pas dire « rien du tout », on est donc chrétien. Cette identification résulte en partie des excès d’un islam communautaire. La Coupe du Monde 2010 en fut le summum. Le groupe des convertis est le plus revendicatif : Ribéry, Anelka, Abidal. Le « Français » de la sélection nationale, méprisé des bandes ethnico-religieuses, Yoann Gourcuff, est ostracisé. Comme minoritaire, le Blanc peut s’assimiler par la conversion à l’islam (à l’image de Ribéry) ou rester isolé. Ou alors, s’identifier à une autre communauté de foi soudée, redécouvrir sa culture d’origine. Ce développement plus récent a été permis par le témoignage de joueurs étrangers.

Influence internationale

Au niveau international, le christianisme est la religion dominante chez les footballeurs. Les deux monstres du ballon, Cristiano Ronaldo et Messi, sont catholiques, et les Sud-Américains sont très croyants, pour beaucoup évangéliques. La tendance semble même se renforcer d’une génération sur l’autre. En jouant à l’étranger, notamment en Europe du Sud, les joueurs français sont confrontés à un catholicisme plus fort et intégré dans la vie des clubs. Lorsque, pour les JMJ, le Real Madrid a offert au Pape un maillot floqué Benoît « 16 », Benzema l’a signé comme tous les joueurs du Real. Au fil des années, des joueurs emblématiques ont porté des slogans chrétiens après la victoire de leur club en coupe européenne : Kaka (2007), Falcao (2011), David Luiz (2012), Alaba (2013), Neymar (2015). La ferveur religieuse des Brésiliens se voit sur le terrain, avec des prières en action de grâce (victoire en Coupe du Monde 2002, en Coupe des Confédérations 2009…) et même après une défaite (l’humiliant 7 à 1 face à l’Allemagne). Des gestes que critiquent les autorités de la Fifa et certains journalistes : ils craignent que l’exemple des meilleurs joueurs affichant leur religion ne favorise le christianisme.

On observe ce retour de la religiosité même dans les sélections de pays réputés sécularisés, comme l’Angleterre, les Pays-Bas ou l’Allemagne. Cet intérêt pour la foi révèle chez les sportifs un besoin universel de sens et de repères dans le milieu peu sain du football.

Le 6 juin dernier, le jeune brésilien Neymar, vainqueur de la Ligue des Champions avec le FC Barcelone, revêt le bandeau « 100% Jésus » pour célébrer la victoire. Une inscription plus tard censurée par la Fifa dans une vidéo pour la cérémonie du Ballon d’Or.

L’arrivé des joueurs internationaux au PSG a apporté une culture chrétienne. Le capitaine et pasteur brésilien Marcos Ceara a ainsi baptisé son coéquipier Blaise Matuidi. Au PSG, où la majorité des joueurs est chrétienne, les Français se signent aussi avant match : Yohan Cabaye, Lucas Digne, Blaise Matuidi. Pas un geste banal, précise bien ce dernier : « Je ne suis pas superstitieux, mais je suis croyant ».

***

On assiste à l’émergence d’une foi chrétienne plus assumée chez des footballeurs pourtant peu prédisposés sociologiquement. Les Français restent moins démonstratifs que leurs compatriotes sud-américains, mais ce phénomène est si récent qu’il a le temps de s’approfondir. Signes de croix, tatouages et déclarations ne font pas le moine, mais ils montrent que s’afficher chrétien n’est plus honteux pour les footballeurs français.

Source: Les scrutateurs

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