Inscrire les racines chrétiennes de la France dans la Constitution : le débat

Inscrire les racines chrétiennes de la France dans la Constitution : le débat

de Donation de Bllignières dans l’Incorrect :

Depuis quelques temps, une idée s’est glissée dans le débat politique, sous l’impulsion de diverses personnalités de la droite ; l’idée d’inscrire dans la Constitution de la Ve République ce qu’ils nomment les « racines chrétiennes » de la France.

L’idée n’est en soi pas nouvelle, puisqu’elle marquait déjà la pensée du Général de Gaulle, et que de nombreuses personnalités affiliées à droite, comme Philippe de Villiers, en font depuis longtemps un élément essentiel de leurs politiques, partageant sans hésiter la vision d’une France profondément chrétienne, d’un pays construit par le partage, pendant des siècles, d’une même foi et de mêmes valeurs.

Il faut le dire, le projet mérite bien de susciter autant de débats : il s’agirait de modifier la Constitution, norme suprême de notre pays, pour y inscrire une idée – concept pour les uns, fait indiscutable pour les autres -, celle de racines chrétiennes de la France. D’autant plus que le terrain sur lequel cette proposition s’oriente est éminemment actuel, c’est celui de la laïcité.  Le 12 juillet dernier, répondant à Éric Ciotti autour des débats sur ce projet, le député Jean-Luc Mélenchon s’est emporté en s’opposant avec virulence à l’idée selon laquelle la France aurait des racines chrétiennes. Sa tirade – qui ne manque pas d’éloquence il faut le reconnaitre – a été dès le lendemain relayée par tous les médias comme étant un vibrant hommage à la liberté, à la vérité universelle et surtout est décrite comme une « leçon d’histoire » adressée à Monsieur Ciotti et aux partisans de cette notion : « La France ne sera jamais une nation ethnique ou religieuse » martelait-il avec conviction.

A juste titre, le député Insoumis rappelle que la France doit énormément à d’autres cultures, à d’autres ethnies : ainsi le calendrier que nous utilisons est le calendrier romain, et les chiffres que nous employons nous viennent des pays arabes. Et il serait bien trop facile, c’est là la piège, de continuer dans son raisonnement. Le peuple français, à ses origines, n’est-il pas un mélange ethnique de gaulois, de romains, de barbares en tous genres ? La culture, l’art, l’architecture, tous ces domaines ne sont-ils pas grandement emprunts d’inspirations antiques, période antérieure au christianisme ? Nombreuses sont les figures de la culture française qui étaient loin de partager de quelconques valeurs ni racines chrétiennes. Oui, il est évident que ce qui a fait la France au cours des siècles ne peut se résumer qu’à des influences chrétiennes, et la civilisation française ne se limite bien évidemment pas qu’à cette seule référence. Cela étant posé, j’aimerais s’il m’est permis, démontrer de façon objective que oui, la France a des racines chrétiennes sans lesquelles elle ne se serait jamais affirmée, et par là donner à Monsieur Mélenchon une courte mais intense leçon d’histoire.

Commençons par remonter au tout début de notre ère ; le christianisme n’était alors qu’une religion discrète, mais faisant progressivement son chemin autour de la Méditerranée, dans une époque dominée par la culture et par l’incontestable puissance romaine, dont la culture, elle-même inspirée de la culture grecque, alors modèle de perfection. La France fut rapidement gagnée par le christianisme, et c’est d’ailleurs sur les plages du sud que des apôtres, comme Marie-Madeleine, vinrent accoster et finir leurs jours. C’est alors dans cette France, alors Gaule Romaine, que des milliers de chrétiens moururent pour avoir refusé de nier la foi qu’ils nourrissaient : ces chrétiens, ces martyres, ont à n’en pas douter contribué à la construction sociale d’une France unie sur des valeurs communes, celles du christianisme.

C’est ainsi que, de façon tout à fait naturelle, la France gallo-romaine devint chrétienne, et ce phénomène continua à aller de l’avant pendant plusieurs siècles, jusqu’au baptême de Clovis : si le chef des armées franques n’hésita pas à se faire baptiser, c’est qu’il savait que d’une part, il trouverait en l’Eglise un soutien politique non négligeable, et que d’autre part la population gallo-romaine était majoritairement, et fièrement, chrétienne : en éliminant les chefs païens qui pouvaient lui faire de l’ombre et en adoptant la culture et la foi du peuple local, Clovis assurait son autorité ainsi que la fusion pacifique des peuples francs et gallo-romains. Sans cela, sans un chef chrétien laissant s’épanouir la foi chrétienne, jamais les gallo-romains n’eurent accepté de se laisser gouverner. C’est par cette judicieuse politique que les dynasties mérovingienne et carolingienne parvinrent à donner un nouvel élan à l’idée romaine d’unité de l’Etat. C’est grâce à ses racines chrétiennes, à cette foi partagée par les français, que l’idéal romain d’unité de l’Etat persista tout au long des siècles, passant même au travers du morcèlement féodal.

L’Etat français est à son origine intimement lié au christianisme et à l’Eglise, depuis que Pépin d’Héristal a revêtu l’habit de « patrice », et que la France a été adoubée comme « fille ainée de l’Eglise » par la papauté. Les premiers chefs d’Etat français avaient besoin de l’Eglise, tout comme celle-ci avait besoin de la protection de l’Etat français. D’ailleurs l’Eglise, en exaltant la « trêve de Dieu » et ce qui deviendra plus tard la chevalerie, fondée sur des devoirs d’honneur et de vertu, est pour beaucoup dans la fin des guerres privées qui marquèrent l’anarchique système féodal ; c’est notamment ainsi que les descendants d’Hugues Capet parvinrent à rétablir l’unité du pays. Et, pendant les siècles de vie de l’Ancien Régime, les pouvoirs spirituels et temporels étaient intimement liés dans les institutions monarchiques françaises, voire au-delà puisque c’est en 1905 que l’Etat français se sépara définitivement de l’Eglise.

Après tout, que possède aujourd’hui la France pour mériter de se voir affubler de ce titre de pays aux racines chrétiennes ? Notre député semble avoir omis de son discours quelques éléments, et en rappeler quelques-uns devraient suffire. Penchons-nous alors de façon bien plus concrète sur l’architecture, sur le paysage français ; quel village ne possède-t-il pas son église, sa chapelle ? La France n’est-elle pas ce pays dont la campagne est marquée par la présence de milliers de petits clochetons atypiques, qui dépassent à l’horizon où que vous soyez ? N’est-elle pas le pays parsemé d’abbayes splendides, comme le Mont Saint Michel, ainsi que d’autres sanctuaires vers lesquels convergent les pèlerins depuis des siècles ? N’est-elle pas le pays dont les villes sont organisées autour de majestueuses églises, basiliques, et cathédrales ? Tout ce patrimoine exceptionnel, renié en France mais envié par toutes les civilisations du monde et qui est la principale raison du succès touristique de notre pays ? Observons également l’art, il suffit d’entrer dans le mystère d’un musée pour constater que depuis des siècles peintres, sculpteurs, s’inspirent sans conteste des écritures et du visage de la religion chrétienne.

Si l’existence de ces racines est indéniable, le fait d’en inscrire l’existence dans la Constitution est en revanche discutable, puisque la Constitution n’a pas forcément vocation à préciser ce genre de choses, alors qu’elle organise une République laïque assumée, et qui a depuis longtemps coupé les ponts avec l’Eglise – d’autant que, si la France a des racines chrétiennes, la République ne peut pas se targuer d’en avoir ! – ; la proposition d’inscrire cette réalité dans la Constitution est par ailleurs une idée purement démagogique d’une partie de la droite, qui espère ainsi se démarquer de la majorité et récupérer un électorat catholique se faisant de plus en plus discret. Mais, d’un autre côté, l’idée d’inscrire ces racines chrétiennes dans la Constitution n’est pas un non-sens comme l’avance Jean-Luc Mélenchon, qui finalement semble tout simplement rejeter l’idée d’une identité française et pour qui l’histoire de France ne commence qu’en 1789, au mépris de la période antérieure à la Révolution, qui a tant apporté à la France et qui semble finalement bien méconnue des français. Mettre en avant ces racines dans un texte aussi important que la Constitution répond avant tout au respect que nous devrions avoir quant à cette variable fondatrice de notre histoire, clé de voûte de notre culture et de l’identité française, sans laquelle rien ne se serait fait : tout ceci se rapproche bien de ce que le sens commun accorde au mot racine et, pour la France, cette racine est chrétienne.

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