La décision du CCNE ne laisse pas sans inquiétude pour la révision de la loi de bioéthique – Jacques Testart

La décision du CCNE ne laisse pas sans inquiétude pour la révision de la loi de bioéthique – Jacques Testart

Le Comité consultatif national d’éthique a rendu le 27 juin son avis n°126 sur « les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation ». Jacques Testart, « père scientifique » du premier bébé éprouvette analyse les prises de position contenues dans cet avis,  et s’inquiète des prochains « états généraux de la bioéthique » qu’elles augurent.

Ce texte a été initialement publié sur Mediapart : Bioéthique, l’escalier des laisser-aller.

Ce 27 juin, le Comité national d’éthique (CCNE) rend son Avis sur l’Assistance médicale à la procréation (AMP) pour des raisons sociétales. Il examine trois situations problématiques.

Le cas de la location d’utérus, aussi nommée gestation pour autrui (GPA) est argumenté et le refus de cette atteinte à la dignité humaine est clair : il n’existe pas de « GPA éthique » écrit le CCNE qui demande une convention internationale d’interdiction mais émet cependant des propositions prenant en compte le sort des enfants ainsi nés. Parmi celles-ci, on remarque le droit d’accès des enfants au contrat qui a permis leur naissance avec l’identification de tous les intervenants.

Un deuxième thème est celui de l’insémination artificielle avec donneur (IAD) pour toutes les femmes demandeuses[1]. La majorité des membres du CCNE y sont favorables. Mais il est surprenant que le CCNE accepte cette pratique après avoir énoncé des arguments forts qui s’y opposent. Ainsi le droit de l’enfant à connaître ses origines, reconnu depuis 2006 par la Convention européenne des droits de l’homme, est mis à mal par le principe d’anonymat du donneur, que le CCNE ne remet pas en cause. Pourtant le recours plus fréquent à l’IAD ne peut qu’augmenter le nombre des enfants souffrant de l’absence de racines que rapportent les psychologues, et cette fois l’impossibilité à procréer ne saurait justifier la création délibérée de ce handicap. Un autre problème est celui de la concurrence pour le sperme entre les couples hétérosexuels déjà médicalisés et ces nouvelles demandes sociétales. La rareté des gamètes disponibles allongerait les délais d’attente et pourrait entrainer la rupture avec le principe de gratuité du don. «Protéger la liberté de l’offre, écrit le CCNE, revient à ne pas satisfaire la totalité des demandes. C’est un choix éminemment éthique et politique». Alternativement, on pourrait recourir à une médicalisation non nécessaire mais capable d’économiser les spermatozoïdes en procédant à la FIV avec ICSI[2], technique plus lourde et onéreuse que l’IA mais qui réalise la parité gamétique. Tout cela en attendant la venue d’un monde meilleur où on fabriquerait des gamètes en abondance à partir de cellules banales, comme récemment réalisé chez la souris…Aussi est-il surprenant que le CCNE justifie son feu vert en posant que, la technique est déjà autorisée par ailleurs (IAD pour raisons médicales), qu’elle ne présente « pas de risques nouveaux de violence dans les relations entre les différents acteurs» et est capable de «répondre à une souffrance sans en susciter de nouvelles», tout en soulignant que l’insuffisance des dons de sperme «fait courir le risque d’une déstabilisation de tout le système bioéthique français»….On voit bien que « l’IAD pour toutes » ne serait pas sans conséquences sur les activités biomédicales actuelles et qu’elle conduirait à augmenter le nombre d’enfants privés de filiation génétique. L’obsession technologique empêche le CCNE, et bien sûr les praticiens, d’appréhender l’IA comme un geste qui se passerait aisément de médicalisation mais stimulerait l’implication des demandeurs en pleine responsabilité[3].Il reste que l’exigence d’anonymat du donneur est encore une fois non interrogée alors que l’Allemagne vient, après d’autres pays, de l’abandonner.

Le troisième thème abordé par le CCNE concerne l’autoconservation des ovocytes que le comité d’éthique estime « difficilement défendable », une minorité de ses membres estimant au contraire que cela permettrait plus d’autonomie des femmes pour gérer le moment de leurs grossesses. Ce point de vue rejoint celui de l’Académie de médecine qui a produit récemment (juin 2017) un rapport favorable à cette pratique, laquelle n’est autorisée actuellement que pour des cas pathologiques ou en contrepartie du don d’ovocytes à une autre femme (cf. L’Académie de médecine favorable à la conservation des ovocytes pour toutes). L’Académie critique avec raison cette dernière situation qui ressemble à un « chantage » ou même à un « leurre »puisque les ovocytes supposés les meilleurs sont plutôt réservés à la femme receveuse. De ces considérations on ne peut toutefois conclure en proposant la libre autoconservation qu’en présupposant un nouveau droit, déjà admis avec l’IAD pour toutes, celui de quiconque à réquisitionner les structures biomédicales pour convenance personnelle. Pour sa part, le CCNE s’inquiète des risques médicaux de la stimulation ovarienne et du recueil des ovocytes, des pressions sociales éventuelles, comme du recours nécessaire à la FIV quand les ovocytes sont « récupérés » par la patiente, mais aussi de l’inutilité de cet investissement biologique et du devenir des ovocytes si ces femmes enfantent naturellement, ce qui devrait constituer la situation la plus fréquente. La perspective de se garantir ainsi contre le vieillissement constitue une assurance chèrement acquise mais souvent illusoire puisque, outre les cas où la femme abandonnera ses ovocytes, rien ne garantit que les quelques gamètes conservés suffiraient pour assurer la survenue d’une grossesse, ruinant alors des années d’espérance (rappelons qu’un ovocyte n’a, en moyenne, que 3% de chances d’être à l’origine d’un enfant). Nous entrons là dans le domaine en plein développement de la surmédicalisation par précaution.

Le CCNE propose quelques leçons communes à toutes les pratiques d’AMP sociétale. Ainsi, «dans tous les États qui ont autorisé l’autoconservation des ovocytes, l’IAD pour toutes les demandes et la GPA, un marché lucratif et transnational s’est développé, illustrant un type de société ». Or, ce type de société fait encore l’objet de résistances en France et, au travers de questions presque triviales posées à la bioéthique, c’est toute une conception de la dignité humaine et des rapports entre les personnes qui risque de s’imposer. C’est pourquoi, estime justement le CCNE contrairement à ce que beaucoup de partisans du libéralisme éthique prétendent, «même libre, éclairée et autonome, la décision ne concerne donc jamais seulement l’individu qui la prend».

Plusieurs institutions se sont prononcées depuis quelques mois sur l’AMP sociétale mais aussi sur des techniques de biologie concernant la procréation humaine. Ainsi, le comité d’éthique de l’inserm, ardent partisan des recherches sur l’embryon humain, a proposé en 2016 que la recherche sur l’embryon, occasion d’un progrès biomédical incantatoire, puisse être suivie du transfert de cet embryon dans l’utérus, au risque de pathologies induites chez l’enfant. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) a, pour sa part, élargi en novembre 2016 une ancienne proposition du CCNE[4]. Celle-ci préconisait un diagnostic préimplantatoire (DPI) que l’on peut qualifier opportuniste, en profitant de la disposition in vitro des embryons de FIV pour détecter des anomalies non portées par les géniteurs, en particulier des trisomies. L’OPECST vient de porter à l’extrême cette enquête eugénique en étendant potentiellement l’analyse à tous les embryons issus de FIV et à toute déviance génétique ou métabolique. Quant à l’Académie de médecine, elle a proposé, en février 2016, d’autoriser les recherches sur la modification génétique des gamètes et embryons humains. Il est clair que la révision des lois de bioéthique prévue en 2018 se prépare activement et que des lobbies sont à l’œuvre tant au sein des institutions que de la société.

Le CCNE était saisi des questions d’AMP sociétale depuis janvier 2013. Le successeur de François Hollande a clairement indiqué son adhésion à l’IAD pour toutes les femmes et pourra s’appuyer sur cet avis du CCNE. Il faut s’attendre à des offensives des partisans de la GPA, en perte de vitesse depuis quelque temps. C’est le prochain combat car, si on offre du sperme à toutes les femmes, comment refuser des ventres à tous les hommes ?… Mais il faudra compter aussi avec des offensives concernant des aspects moins médiatisés de l’AMP, ou des recherches qu’elle rend possibles. L’escalier de progrès escomptés est plutôt celui de laisser-aller cumulés qui dessinent une direction unique, celle des corps instrumentalisés, de leurs produits réifiés ou marchandisés, des individus en perte d’autonomie, pour satisfaire des groupes ou des praticiens ainsi que des économies affichées ou souterraines. Conformément à la loi, le CCNE souhaite des conférences citoyennes pour « un travail d’information, de discussion et de pédagogie ». C’est effectivement la voie démocratique, à condition que l’avis des citoyens pèse au-delà de ces fonctions d’accompagnement, jusqu’à représenter le plus fort levier pour l’orientation des décisions des élus. Une telle valorisation de ces procédures est nécessaire mais la crédibilité de leurs avis exige davantage de méthode et de sérieux que ce que montrèrent les précédentes conférences citoyennes sur la bioéthique. Ainsi, les « Etats généraux de la bioéthique »(2009), sous la houlette de R Bachelot, se sont déroulés dans un grand laxisme procédural et pour des conclusions annoncées à l’avance par la ministre. La conférence de citoyens sur la fin de vie, organisée par le CCNE en 2013, a aussi montré bien des carences quant à l’expertise peu contradictoire et à la transparence. C’est seulement en respectant des règles procédurales strictes, telles que proposées pour les conventions de citoyens [5] que les avis conformes au bien commun pourront apparaître plus crédibles et désirables que les opinions mal informées ou le forcing des groupes de pression.

[1] Notons que le cas (exceptionnel mais possible) d’une femme, ni seule ni en couple féminin, qui souhaiterait la fécondation par un donneur plutôt que par son partenaire légal, pourrait poser problème si on accordait le droit d’IAD à « toutes les femmes »…

[2] Fécondation In Vitro avec microinjection intracytoplasmique

[3] « L’aide conviviale à la procréation », in J Testart : Faire des enfants demain, pp 166-174 , Seuil, 2014

[4] Avis 107 du CCNE , 2009

[5] J Testart : L’humanitude au pouvoir. Comment les citoyens peuvent décider du bien commun. Seuil, 2016

 

Source Généthique.org

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