La famille et le totalitarisme de Michael O’Brien

La famille et le totalitarisme de Michael O’Brien

Michael D. O’Brien est un écrivain et artiste canadie, ancien éduteur du magazine catholique des familles et l’auteur de 28 livres dont le roman à succès Père Elie (Elijah), traduit en douze langues.

Dans son encyclique de 1981 sur le rôle de la famille chrétienne dans le monde moderne, Familiaris Consortio, Jean-Paul II a souligné qu’à ce moment de l’histoire, la famille est l’objet de nombreuses forces qui cherchent à la détruire ou à déformer son identité. Dans ce document et de nombreux autres, il a enseigné avec insistance que l’avenir même de la civilisation dépend de notre défense des droits de la famille. Il avertit que chaque fois que ceux-ci sont violés, y compris lors de tentatives de réhabilitation d’une société en crise, l’hostilité envers la famille peut évoluer vers des actes d’agression manifeste ; la société « l’attaque violemment dans ses valeurs et dans ses exigences fondamentales … C’est pourquoi l’Eglise prend ouvertement et avec vigueur la défense des droits de la famille contre les usurpations intolérables de la société et de l’Etat. » (FC n° 46)

Dans son Exhortation Apostolique de 1988 sur les laïcs, Christifideles Laici, il écrit :

« Berceau de la vie et de l’amour, dans lequel l’homme “naît” et “grandit”, la famille est la cellule fondamentale de la société. A cette communauté, il faut réserver une sollicitude privilégiée, chaque fois surtout que l’égoïsme humain, les campagnes contre la natalité, et aussi les conditions de pauvreté et de misère physique, culturelle et morale, et encore la mentalité de recherche du plaisir et de course à la consommation, tarissent les sources de la vie, pendant que les idéologies et différents systèmes … s’attaquent à la fonction éducative propre à la famille… La famille pourra et devra exiger de tous, et d’abord des autorités publiques, le respect de ses droits qui, en sauvant la famille, sauvent la société elle-même. »
– PAPE JEAN-PAUL II, Christifideles Laici, n° 40

Dans son encyclique publiée en 1993, La Splendeur de la Vérité, il a averti une fois encore sur le fait que malgré « la chute des idéologies qui liaient la politique à une conception totalitaire du monde — la première d’entre elles étant le marxisme —, un risque non moins grave apparaît aujourd’hui à cause de la négation des droits fondamentaux de la personne humaine et à cause de l’absorption dans le cadre politique de l’aspiration religieuse qui réside dans le coeur de tout être humain »

« C’est le risque de l’alliance entre la démocratie et le relativisme éthique qui retire à la convivialité civile toute référence morale sûre et la prive, plus radicalement, de l’acceptation de la vérité. En effet, “s’il n’existe aucune vérité dernière qui guide et oriente l’action politique, les idées et les convictions peuvent être facilement exploitées au profit du pouvoir. Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l’histoire.” »
– PAPE JEAN-PAUL II, Centesimus Annus, 1991, n° 46 ; cité dans Veritatis Splendor, n° 101).

Habituellement, le mot totalitarisme suscite des images mentales de goulags, de polices secrètes et de salles de torture. La littérature du 20ème siècle nous a donné quelques ouvrages de fiction anticipative qui suggèrent une variété de futurs totalitaires envisageables. Le roman 1984 d’Orwell et Brave New World de Huxley nous viennent immédiatement à l’esprit. L’absolutisation du pouvoir de l’État ou des systèmes contrôlés par l’État est commune à ces dystopies.

Le totalitarisme dans toutes ses formes s’efforce invariablement de supprimer les absolus authentiques et d’établir à leur place de faux absolus — généralement sociopolitiques et théoriques, tels que le matérialisme dialectique (le marxisme) et la forme de matérialisme aujourd’hui omniprésent que le Pape Benoît XVI a appelé « la dictature du relativisme moral. » Par contraste, les authentiques absolus sont des vérités fondamentales, ultimes et inconditionnelles, indépendantes du flux et du reflux des cultures, des modes, des mythes et des préjugés. L’exemple le plus évident d’absolus authentiques est le Décalogue. Les Dix Commandements se dressent tel un rempart et un veilleur contre le mal — contre tout ce qui pourrait nous déshumaniser. Ils servent également de repères au milieu des sables mouvants et des motivations subjectives.

Un tyran, au début, ressemble rarement à un monstre. Comme Lénine, Mao ou Hitler, il se présente comme le sauveur de son peuple, mais une fois qu’il a atteint le pouvoir, il finit par dévoiler son jeu, et tôt ou tard son peuple le rejette. Plus difficile à cerner et à rejeter est le tyran idéaliste « plein d’humanité » qui étend son pouvoir pour promouvoir ce qu’il considère être, selon la théorie qui l’anime, le bien de ses sujets. Nous l’avons vu dans le totalitarisme non-violent ou « soft » qui a balayé les nations autrefois chrétiennes du monde occidental, avec son démantèlement des lois pro-vie et pro-famille dans de nombreux pays et l’imposition de nouvelles lois qui portent profondément atteinte à l’autonomie morale des églises et des individus. Considérez les efforts anti-population de la carotte et du bâton de l’ONU, parallèlement aux tentatives du Parlement européen d’imposer des lois immorales aux États membres, les attaques de l’administration Obama contre la liberté religieuse, et le couplage généralisé de l’avortement permissif, de l’euthanasie et des lois sur le “mariage” homosexuel à de nouvelles lois contre les « crimes haineux » qui punissent toute opposition publique envers l’agenda révolutionnaire. Considérez le fait surprenant que des évêques dans des Etats démocratiques tels que le Canada, l’Espagne ou la France ont été traduits devant des « tribunaux des droits de la personne » et des cours pénales pour avoir simplement enseigné la vérité sur ces questions.

Les nouveaux totalitarismes sont parvenus à aller aussi loin parce que leurs efforts pour remodeler les valeurs morales ont été déployés sans avoir à manifester les persécutions les plus grossières et violentes. Au lieu de cela, ils poursuivent leurs objectifs par une révolution sociale implacable, soi-disant fondée sur des principes, qui repose sur une propagande et une manipulation incessantes, présentant l’illusion de la liberté, de l’unité et de la diversité, alors même qu’ils érodent les trois. Le plus odieux étant que la déconstruction des fondements moraux de la civilisation est promulguée au nom d’une croisade morale.

Bien sûr, le tyran idéaliste trouvera que la nature humaine fondamentale est plutôt difficile à remodeler, et avec le temps il aura besoin d’étendre continuellement son pouvoir jusqu’à ce que son contrôle approche le niveau de totalité. S’il s’y prend avec intelligence et remplit le monde d’une belle rhétorique, tout en prenant soin de ne pas empiéter grossièrement sur nos droits les plus agréables, et si, en même temps, il prend sur ses propres épaules nos droits et devoirs les moins plaisants, ceux qui demandent efforts et sacrifices, alors il peut réussir pour un temps. Ce n’est jamais autant réalisable que dans une période historique de stress extrême. Dans un tel climat, la suppression de nos responsabilités n’est pas ressentie comme une privation ; cela nous donne plutôt le sentiment d’être soulagés d’intolérables tensions. Lorsque cela se produit à une échelle massive, aucune pratique dictatoriale ni destruction de livres ou exécutions grotesques ne sont nécessaires. Dans certains cas, il peut même n’y avoir aucun dictateur visible, seulement un système ou une philosophie sociale qui imprègne et cherche à tout contrôler. En effet, le monde peut sembler plus ou moins normal. Le philosophe catholique Josef Pieper souligne que c’est, de toutes, la forme la plus dangereuse de totalitarisme, presque impossible à rejeter, parce qu’elle ne semble jamais être ce qu’elle est en réalité. (Josef Pieper: an Anthology, Ignatius Press, San Francisco, 1989, p.228)

Le monstre tyran et le tyran « humaniste » offrent tous deux quelque chose qui semble être un bien. Les deux, à la fin, exigeront un prix terrible. Au début, ce prix peut sembler petit et suffisamment inoffensif. On nous demande de faire un léger compromis ici, un autre là, sans se douter que finalement il ne nous restera plus assez de force pour résister à la trahison complète. Trop facilement, le juste discernement d’un peuple peut être neutralisé quand un tyran prend le pouvoir sans aucun des sinistres costumes que portent habituellement les dictateurs violents. Quand les erreurs se présentent sous des déguisements plaisants et sont promues par des faiseurs d’opinion attrayants, ceux qui vivent dans un tel milieu ont plus d’une difficulté à surmonter pour parvenir à évaluer correctement ce qui leur est fait. Ils se retrouvent au beau milieu d’événements en cours de réalisation, et sont donc confrontés au problème de la perception : comment percevoir la structure cachée de leur époque complexe, comment prendre du recul pour la voir objectivement tout en y demeurant actif, en tant qu’agent au service du bien.

Comment pouvons-nous, en tant que catholiques, y parvenir si nous ne sommes pas ancrés dans la vérité ? Serons-nous prêts à compromettre les absolus moraux dans l’éducation de nos enfants, par exemple, simplement parce que des « experts » ayant une belle rhétorique nous disent que nous devons le faire ? Dans mon pays d’origine, le Canada, les systèmes d’éducation du gouvernement imposent aujourd’hui des programmes d’éducation sexuelle et d’ingénierie sociale radicalement désordonnés dans toutes les écoles, y compris les écoles catholiques. L’endoctrinement et l’homogénéisation de l’esprit de nos enfants deviendront-ils acceptables simplement parce que nous voulons que la prochaine génération soit bien équipée pour faire face à une société profondément désordonnée ? Serons-nous obligés d’acquiescer et de sourire face à la redéfinition du mariage et de la famille en une construction sociologique pratiquement dénuée de sens ?

Que faudra-t-il pour que notre peuple comprenne que lorsque les sentiments humanistes remplaceront les absolus moraux, il ne faudra pas longtemps avant que les idéalistes révolutionnaires commencent à envahir les familles au nom de la famille et à détruire les vies humaines au nom de l’humanité ? C’est la plus grande tentation de l’idéaliste, la tentation par laquelle les nations et les cultures tombent le plus souvent. Le détenteur du pouvoir se leurre en pensant qu’il peut ramener la réalité à une condition moins désagréable. S’il parvient à convaincre une population d’un tel mensonge et en même temps propose un bouc émissaire comme ennemi du bien commun, alors des maux indescriptibles peuvent être libérés dans la société. Ceux qui sont victimes de telles tromperies de masse les reconnaissent rarement comme telles, et peuvent exécuter les actes les plus odieux tout en s’auto-justifiant. Les démocraties ne sont pas à l’abri de ces illusions, bien qu’elles tendent à des formes d’oppression qui ne sont pas ouvertement violentes au début. Au fur et à mesure que les démocraties dégénèrent, néanmoins, l’oppression cachée se transforme progressivement en violations plus flagrantes de la liberté.

Dans son encyclique de 1995, L’Evangile de la vie, Saint Jean-Paul II écrivait :

« Ainsi la démocratie, en dépit de ses principes, s’achemine vers un totalitarisme caractérisé. L’Etat n’est plus la « maison commune » où tous peuvent vivre selon les principes de l’égalité fondamentale, mais il se transforme en Etat tyran qui prétend pouvoir disposer de la vie des plus faibles et des êtres sans défense, depuis l’enfant non encore né jusqu’au vieillard, au nom d’une utilité publique qui n’est rien d’autre, en réalité, que l’intérêt de quelques-uns… En réalité, nous ne sommes qu’en face d’une tragique apparence de légalité et l’idéal démocratique, qui n’est tel que s’il reconnaît et protège la dignité de toute personne humaine, est trahi dans ses fondements mêmes: « Comment peut-on parler encore de la dignité de toute personne humaine lorsqu’on se permet de tuer les plus faibles et les plus innocentes? Au nom de quelle justice pratique-t-on la plus injuste des discriminations entre les personnes en déclarant que certaines d’entre elles sont dignes d’être défendues tandis qu’à d’autres est déniée cette dignité? ». Quand on constate de telles manières de faire, s’amorcent déjà les processus qui conduisent à la dissolution d’une convivialité humaine authentique et à la désagrégation de la réalité même de l’Etat. »
PAPE JEAN-PAUL II, Evangelium Vitae, n° 20-21

Notre défense de la réalité elle-même, notre résistance aux diverses formes de totalitarisme, exigeront à la fois des mesures réactives fortes et proactives. À la base de toute dissidence efficace, nous devons commencer par notre propre examen de conscience, un rétablissement de la vénération de « la vérité intégrale sur l’homme », un retour aux principes de l’Evangile dans chaque aspect de nos vies et, surtout, une profonde conversion au seul véritable Dieu. De cette façon, en passant d’un concept tragiquement retardé des droits de l’homme à la primauté des droits de Dieu et des responsabilités de l’homme, nous vivrons portés par le courant de la grâce, enveloppés du manteau de l’autorité divine, en parfaite fidélité à la mission de l’Église, in statu missionis. Ainsi, en nous unissant à l’obéissance du Christ sur la Croix, nous participerons au retournement du péché d’Adam et trouverons le sentier de la liberté, la mort qui mène à la vie. Et ce faisant, nous participerons à la rédemption du monde.

Dans une interview il y a de nombreuses années, Jean-Paul II disait ceci : « Je préférerais mille fois plus une Église persécutée à une Église compromise. » Il savait que l’Église se tient comme unique défense de l’intégralité des absolus humains et divins. Si nous voulons rester libres au sens propre du terme — libres d’être totalement fidèles à la mission qui nous a été divinement confiée en ce monde, libres de défendre l’Amour et la Vérité, libres de défendre la dignité éternelle et la valeur de tout être humain — nous devons toujours chercher à être un signe de contradiction, et si nécessaire à accepter que la société, de plus en plus dominée par un messianisme séculier intrinsèquement pervers, nous condamne. (voir Catéchisme de l’Église catholique, 675-677).

Parce que « l’avenir de l’humanité passe par la famille », l’Église défend la vie et la famille avec une inflexible clarté. Comme son Maître, elle est miséricordieuse, tout en nous montrant qu’il n’y a pas de vraie miséricorde sans vérité — la vérité qui respecte suffisamment l’homme pour vouloir le tirer vers le haut. Elle ne confond pas l’inculturation véritable avec l’assimilation par le spiritus mundi (et les esprits adverses les plus sombres à l’oeuvre à travers cet esprit). Les synodes peuvent aller et venir, alternativement édifiants ou peu concluants, mais l’Epouse du Christ demeurera, persévérant dans un état de préparation continue pour sa rencontre avec son Epoux. Nous ne devons jamais nous laisser consterner lorsque la confusion et l’ambiguïté se manifestent en son sein, soit dans les églises particulières, soit sur le siège de l’autorité à ses plus hauts niveaux.

L’Église continuera-t-elle à convertir le monde ou, comme l’a suggéré le Pape Benoît XVI, deviendra-t-elle beaucoup plus petite, un petit reste de croyants purifiés par la persécution mondiale ? Seul le Christ connaît la réponse. Mais de ceci l’on peut être sûr : malgré les souffrances auxquelles nous serons confrontés dans un avenir plus ou moins proche, la famille restera ce qu’elle est — un chêne qui fleurit en hiver. La famille continuera, comme elle l’a toujours fait, à préparer les semences du printemps qui vient après le présent hiver. Lorsque les tyrans, les propagandistes, et les ingénieurs sociaux auront été balayés, quand la haine et le désespoir se seront épuisés, la terre s’affligera puis renaîtra. L’Église et la Famille resteront. Alors, tous ceux qui auront semé au milieu des tribulations récolteront une moisson de joie.

Michael O’Brien

Source et traduction : Pierre et Les Loups

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