Laïcité : les conditions d’octroi de la personnalité juridique aux associations religieuses conventuelles seraient discriminatoires

Laïcité : les conditions d’octroi de la personnalité juridique aux associations religieuses conventuelles seraient discriminatoires

L’Afrique du Sud avait autrefois son “petty” apartheid, l’apartheid mesquin (le “grand” apartheid qui organisait la séparation du développement des communautés était-il plus raisonnable ?). Mutatis mutandis, la France nous apporte aussi chaque jour des manifestations plus ou moins  anecdotiques de sa « petty » laïcité dont la dernière concernait l’exclusion de la statue de saint Jean-Paul de l’espace public à Ploërmel en Bretagne. Mais voici, plus grave, une atteinte séculaire à la liberté d’association telle que la définit la convention européenne des droits de l’homme (CEDH) à laquelle la France a souscrit : lu sur le site « Liberté politique.com » cet article (extrait)  rédigé par l’ European centre for law & justice, le 14 mars 2018 :

“Vincent Cador et Grégor Puppinck ont publié en janvier 2018 un article de doctrine en droit public intitulé « De la conventionnalité du régime français des congrégations », dans la Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger.

Les deux auteurs sont docteurs en droit et Grégor Puppinck, directeur de l’ECLJ, est membre du panel d’experts de l’OSCE sur la liberté de conscience et de religion. L’article passe le régime français des congrégations religieuses au crible de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l’homme (la Convention européenne). Ce régime contraignant, dérogatoire au droit commun des associations, est un double héritage de la Révolution française et de la République anticléricale du début du XXe siècle. Il apparaît en décalage avec le processus d’apaisement des relations entre l’État et l’Église depuis les années 1970 et surtout avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (la CEDH), protectrice de la liberté de religion (art. 9), de la liberté d’association (art. 11) et du principe de non-discrimination (art. 14).

Vincent Cador et Grégor Puppinck expliquent que, dans l’hypothèse d’un litige porté devant la CEDH opposant une congrégation à l’État français, « il est fort probable que les juges strasbourgeois condamneraient le régime français des congrégations, obligeant le gouvernement à faire procéder à sa révision ». Pour parvenir à cette conclusion, les auteurs s’appuient sur la jurisprudence de la CEDH pour reproduire le raisonnement en trois étapes habituellement utilisé par cette dernière pour trancher les litiges qui lui sont soumis.

Tout d’abord, ils analysent la législation française sur les congrégations comme une ingérence dans les droits à la liberté de religion et à la liberté d’association. Contrairement aux associations de droit commun qui sont tenues à une simple déclaration, l’octroi de la personnalité juridique est pour les congrégations subordonné à un décret après avis conforme du Conseil d’État. De plus, la constitution d’une congrégation est soumise à des conditions particulièrement intrusives et la teneur de ses statuts est encadrée de manière stricte. À titre d’illustration, le Conseil d’État continue d’interdire aux congrégations de mentionner dans les statuts qu’elles doivent joindre à une demande reconnaissance les vœux « solennels », « perpétuels » ou « définitifs » de leurs membres[1]. Une fois constituées, les congrégations subissent un contrôle rigoureux de la part des autorités publiques portant sur leur fonctionnement. Ces contraintes constituent une ingérence de la part de l’État dans la liberté de religion des religieux, qui s’exerce à travers leur liberté d’association et l’autonomie de leur organisation.

 

Ensuite, les auteurs se demandent si une telle ingérence poursuit un ou plusieurs buts légitimes, au sens des articles 9 et 11 de la Convention européenne. Le gouvernement français, en soumettant les congrégations à un régime dérogatoire, semble considérer qu’elles seraient par elles-mêmes une menace pour la sécurité publique, l’ordre, la santé et la moralité publics ou pour les droits et libertés d’autrui. Or, la pratique et les faits attestent au contraire de l’absence d’une telle menace. Il semble en réalité que les restrictions imposées aux congrégations, plutôt que de répondre à des objectifs légitimes, découlent du positionnement religieux des gouvernements anticléricaux du début du XXe siècle. Or, la jurisprudence de la CEDH exclut toute appréciation de la part de l’État sur la légitimité et les modalités d’expression des croyances religieuses.

Enfin, à supposer même que l’ingérence poursuive un ou plusieurs buts légitimes, les auteurs démontrent qu’elle ne serait pas « nécessaire dans une société démocratique ». En effet, des mesures moins restrictives pourraient être suffisantes pour faire face aux éventuels risques générés par l’existence des congrégations. Le régime des associations de droit commun, s’il était ouvert aux congrégations, n’empêcherait pas l’État de disposer de moyens suffisants et proportionnés pour continuer à surveiller leurs actions et pour prévenir d’éventuelles atteintes à la santé publique ou aux droits et libertés d’autrui. De plus, les lois du 1er juillet 1901 et du 12 juin 2001 contiennent des dispositions permettant de dissoudre une association de droit commun en cas de dérive particulière.

En plus de ce raisonnement en trois étapes, l’article montre que le caractère dérogatoire et contraignant du régime des congrégations constitue en outre une discrimination fondée sur la religion, au sens de l’article 14 de la Convention européenne. Les congrégations sont comparables aux associations de droit commun en tant que groupes de personnes se réunissant en vue d’un objectif commun, et à plus forte raison se rapprochent-elles aussi des associations cultuelles avec lesquelles elles partagent une connotation « religieuse ». Or, la différence de traitement qui existe entre ces groupes présente, en ce qu’elle est dépourvue de toute justification objective et raisonnable, un caractère discriminatoire. Cette discrimination pèse essentiellement sur une religion particulière, à savoir l’Église catholique, comme en témoigne le décret toujours en vigueur du 16 août 1901. En effet, celui-ci indique que la demande d’autorisation de la congrégation doit être accompagnée d’une déclaration par laquelle « l’évêque du diocèse s’engage à prendre la congrégation et ses membres sous sa juridiction » (article 20). Le fait que les représentants d’une seule religion soient mentionnés souligne la volonté de discriminer les catholiques. Même si le statut visé au titre III de la loi de 1901 a été récemment étendu à des congrégations relevant d’autres cultes, il cible donc avant tout les catholiques, et l’immense majorité des congrégations reconnues sont de fait catholiques. Le régime des congrégations révèle ainsi une discrimination religieuse dans la jouissance des droits à la liberté d’association et à la liberté de religion.”

 

Source ECLJ

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