Le diable ricane et nous pleurons

Le diable ricane et nous pleurons

de Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de La Vie :

Il y a quelques jours, un de mes amis s’est suicidé dans les combles d’une église à l’âge de 38 ans. Cet ami était prêtre et cette église était la sienne. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? La question tourne dans beaucoup de têtes. Se pendre ? Dans une église ? Un prêtre ? Le diable ricane et nous pleurons, écrasés d’incompréhension par ce qui lui, qui nous arrive. « Arrière, Satan ! », n’étaient-ce pas les derniers mots du père Hamel face à son assassin dans ce même diocèse de Rouen, à quelques kilomètres de là ? Tout suicide nous glace. Le suicide d’un prêtre nous fracasse contre un mur de glace. « Pourquoi diable » cet acte ? Le mystère de tout homme reste entier. Le péché originel. Le vouloir d’être saint. La chute. Jean-Baptiste est tombé, blessé par Éros, achevé par Thanatos. Cela arrive aux meilleurs, il s’en faut parfois de si peu – religieux, époux, jeunes, vieux, hommes, femmes. Qui croit que le désir est un fleuve tranquille ? Même dans un petit ruisseau, on peut se noyer. Miséricorde !

Il y a autre chose, de bien plus vaste, et qui me tracasse aussi. De scandales en drames, les catholiques sont déboussolés. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Qui va nous sortir de ce bourbier ? Qui va nous défendre ? Beaucoup de prêtres n’en peuvent plus. Ils portent toute la misère du monde, toute la misère de l’Église, toute la misère de l’homme, et la leur par-dessus le marché. Parce que quelques-uns commettent des abus réellement affreux et qu’un voile de corruption ecclésiale leur a assuré l’impunité, la totalité du corps subit soupçon, pression, stigmatisation. Certains se font cracher dessus dans la rue. Des curés en veulent, légitimement, à leurs chefs, donc aux évêques, aux cardinaux, aux papes même. L’institution a failli. Ils subissent le résultat d’une politique honteuse, désastreuse. Et on leur fait la morale ! On dit qu’ils sont mauvais ! Et les baptisés de Pâques, mon Dieu, que peuvent-ils ressentir, eux qui ont choisi de suivre Jésus malgré tant d’obstacles !

La guerre des catholiques contre les catholiques, la guerre de tout chrétien contre tout chrétien, c’est littéralement la guerre du diable.

J’ai commencé ici en parlant de Satan. Ou si l’on veut Diabolos, le Diviseur. La guerre des catholiques contre les catholiques, la guerre de tout chrétien contre tout chrétien, c’est littéralement la guerre du diable. Or, depuis quelques semaines, c’est la guerre de tous contre tous. On déballe. On débine. On éructe. On cherche des coupables. On en trouve : les conservateurs, les conciliaires, le lobby gay dans l’Église, la presse chrétienne, les médias hostiles, la Curie corrompue, les cardinaux réactionnaires qui doutent, les fidèles naïfs qui croient… Chacun ses victimes expiatoires. Pourquoi pas les juifs ou les francs-maçons ? En un sens, la situation est pire qu’à la fin du pontificat de Benoît XVI, car François a soulevé l’immense espoir de la miséricorde. Or sa révolution évangélique semble menacée. L’atmosphère devient crépusculaire.

Le monde catholique doit se ressaisir avant de se fracasser. L’urgence me semble tenir en trois mots : charité, humilité et vérité. Mettez-les dans l’ordre que vous voulez. Éclairez-les par la justice. Mais retirez-en un seul, et tout se corrompt. Il faut que les catholiques retrouvent la capacité à s’aimer, à se parler et à se guérir. Plus que jamais, il faut qu’ils regardent leurs maux en face et choisissent leurs mots avec délicatesse, comme l’a si bien dit l’archevêque de Rouen, -Dominique Lebrun, si clair et si digne, après la mort de son jeune prêtre. Plus que jamais, il faut qu’ils se défient des fausses paroles comme des bonnes paroles. Il faut voir le mal en face, et refuser qu’il nous entraîne à la mort. Catholiques, soyons vivants ! Vivants !

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