Le peuple est-il souverain ?

Le peuple est-il souverain ?

Lu sur Cyrano.net

Une véritable réflexion politique est nécessaire !

On ne sait plus aujourd’hui ni ce qu’est la politique ni qui en sont les acteurs. Il est fait une stérile distinction entre société civile et société politique, alors que la politique est par nature l’expression d’une société civile. C’est du reste le même mot civis, polis, cité, civisme, citoyen, constitutions (Politeia grecque). Voilà le registre sémantique commun à ce qu’il est de bon ton aujourd’hui d’opposer. La politique est l’affaire de la société civile précisément parce qu’elle en est l’expression. L’expression par les décisions ou les élections d’une part, mais aussi l’expression comme reflet d’une conception et de clivages sociaux. En fait, nous amalgamons politique et gouvernement parce qu’à la différence des démocraties antiques que nous croyons prendre pour modèle, nous ne sommes pas une démocratie participative directe mais une démocratie représentative. Au lieu de nous occuper nous-mêmes de la politique nous déléguons à des professionnels. Les Anciens n’ont, du reste, jamais fait autre chose. Mais les  » professionnels » de la politique (entendons de l’exercice du pouvoir) étaient ceux qui en avaient financièrement les moyens. Même dans la démocratique Rome, les magistrats étaient les nantis. Même dans l’exemplaire Athènes, les stratèges étaient les riches et le menu peuple était défrayé pour participer aux Assemblées.

La politique qui regarde tout le monde n’est de fait pas accessible à tout le monde dans son exercice du pouvoir car cela prend du temps. Il faut bien avoir à l’esprit que la politique recouvre en effet deux termes : la souveraineté et le pouvoir.

La souveraineté, dit-on, appartient au peuple qui vote et le pouvoir aux magistrats élus pour représenter, non pas la souveraineté du peuple mais l’Etat, c’est à dire le gouvernement. Car il y a, dans notre terminologie actuelle, identification entre l’Etat et le gouvernement et non entre l’Etat et le peuple. Le peuple, en effet, même en démocratie, est soumis à l’Etat. La différence avec d’autres systèmes politiques est que le peuple est sensé contrôler ses représentants et à loisir changer les lois selon le critère de la majorité.

Ainsi, réellement, le gouvernement appartient, non au peuple, mais à la majorité qui impose de façon tout aussi tyrannique que n’importe quel dictateur sa vision des lois. La démocratie par essence est un rapport de forces, c’est-à-dire une crise permanente entre citoyens. C’était la stasis (crise) que dénonçait Plutarque.

La vraie question politique est donc celle de la souveraineté. Non pas qui détient le pouvoir, mais qui détient la légitimité de la loi. Il faut cesser d’opposer société civile et politique. Ce débat est un contrefeu qui masque la question fondamentale de la légitimité de la souveraineté. Qui est souverain ? Le peuple, L’Etat, ou la loi? Indiscutablement la Loi. D’ailleurs aujourd’hui une décision est prise « au nom de la loi ». Celle-ci a ainsi un pouvoir absolu. Qui contrôle les lois détient de facto ce pouvoir absolu. C’est donc la loi qu’il faut renforcer et sécuriser pour éviter qu’elle soit soumise à une majorité.

Quels sont les fondements de la loi? A cette question chaque société répondra différemment. Mais toutes diront que la loi doit être juste ou bonne. Or qui aujourd’hui peut dire ce qui est juste ou bon?
Peu importe le système politique au fond, s’il garantit une loi effectivement juste ou bonne. Tout le problème politique actuel se résume à cela. Cette vieille question de l’eunomia (la loi bonne) que les grecs n’ont cessé de rechercher et à laquelle tout souverain, Zeus lui-même, devait être soumis.

Aussi, toute innovation ou réforme politique doit d’abord répondre à cette problématique. Quel est la source du droit ? Et toute proposition politique doit annoncer clairement sa réponse. Car de la réponse à cette question ne dépend pas seulement un système politique. C’est un enjeu de civilisation! Est-ce à une majorité de définir le bien ?

Faire l’impasse sur cette question, telle est l’aporie de tout notre système. Ne pas l’affronter ne pas en faire un clivage fort est l’erreur, je pense y compris de ceux qui veulent « faire de la politique autrement ». De ce fait, ils s’enfoncent comme les autres dans la dialectique politique actuelle.
Le communautarisme que nous déplorons aujourd’hui est inévitable parce qu’il se cristallise autour de cette question. Chaque communauté, pour ancrer ses revendications se fonde sur sa conception du bien. C’est-à-dire que chacune se construit sur une certaine conception de la légitimité. Conception qui devient tout à la fois arme offensive et défensive sous couvert de tolérance. Il est illusoire de vouloir repenser l’Etat ou d’imaginer reconstruire l’unité nationale en dehors d’un socle de lois fondamentales reconnues et stables, entendons, intangibles. En Grèce antique, le peuple n’a jamais décidé de ce qui était bien ou mal, l’épisode d’Antigone est là pour nous le rappeler. Les décrets issus du vote visaient à organiser en commun la manière de vivre ces lois supérieures et fondamentales. En France, le Roi n’avait pas le pouvoir de décider du bien. Il était garant, comme le rappelait la cérémonie du sacre, du respect de cette loi supérieure venue de l’Evangile. Le peuple n’a pas le pouvoir de décider du bien ou du mal. Cette souveraineté ne lui appartient pas, car le Bien préexiste à l’Homme et à ses lois. Celles-ci doivent se contenter de le faire respecter y compris et d’abord par ceux qui exercent le pouvoir. La vérité ne s’invente pas, elle se reçoit et se contemple.

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