L’édito – De la citadelle assiégée à la civilisation conquérante

L’édito – De la citadelle assiégée à la civilisation conquérante

Il est un fait indéniable que le monde va mal, tant du point de vue économique que morale. La peur du lendemain, voire même de l’aujourd’hui, couve comme un feu rampant. La désolation du sens alimente une course en avant du consommable par nature éphémère. De proche en proche, l’humanité s’est trouvée au-dessus du néant sans plus même pouvoir réaliser que le sol se dérobe désormais inéluctablement, tant le vide a gagné les profondeurs de notre humanité. Dans ce contexte gris devenu par réflexe défensif, agressif et inconsciemment auto-destructeur, ceux qui ont encore une idée, fut-elle vague, des fondements sur lesquelles l’humanité devraient s’appuyer pour son épanouissement, ont l’impression, parfois, d’être une citadelle assiégée. Percevant avec d’autant plus de douleur les coups portés contre les derniers pilotis que le reste du monde semblent se complaire à sa propre destruction, les catholiques se sentent submergés dans leur rôle d’éternel Cassandre, impuissants et muselés.

 

Et il est vrai que qui regarde l’Occident post-moderne et l’Orient islamisant avec les yeux des vérités de la foi, la réalité est inquiétante, voire terrifiante si l’on se pense impuissant. Que peut faire une poignée de fidèles du Christ face au déferlement de violence, de haine et de mensonge qui réduit comme peau de chagrin l’îlot de moins en moins protégé où ils se tiennent ? Sur qui peuvent-ils s’appuyer s’ils sont perçus par leurs propres frères en Christ comme des intégristes rigides ? Où trouver leur place au cœur du relativisme qui gangrène leur entourage le plus proche ? Comment continuer de dire la vérité évangélique et dénoncer à cette lumière la réalité tragique sans la stigmatiser et se trouver relégué au rang de prophète de malheur ?

 

Telle est la question parfois désespérée de nombre de fidèles. Pourtant, s’il est vrai que le monde est au plus mal, il suffit de parcourir les lettres quotidiennes d’Infocatho pour entrevoir que l’espérance n’a pas déserté cette vallée de larmes. Et si notre vieille Europe craque par endroit, et notamment en France, elle se relève en de nombreux autres. Si l’Occident meurt étouffé dans son propre orgueil d’autosuffisance, des pans entiers de l’humanité découvrent le Christ. Si la foi a déserté le cœur de générations de fidèle, il semble bien qu’elle renaisse avec une incroyable vigueur dans la jeune génération qui, quoique plus fragile que les précédentes, n’en nourrit pas moins une vraie et profonde dévotion pour Dieu. Le véritable drame du sentiment de citadelle assiégée réside peut-être davantage dans le syndrome du petit reste que le démon entretient savamment. Ce syndrome nous conduit à la défense du pré carré, là où nous sommes appelés à être prophétiques. S’il est vrai que le monde est violemment agressif contre la vraie foi chrétienne, il ne l’est pas contre une vérité édulcorée, pour la raison simple que seule la vérité redonnera conscience à notre âge du vide sur lequel il se donne l’illusion d’avancer. Souvent nous sommes, face à ces agressions, à ces pertes de terrain, angoissés, comme s’ils allaient nous emporter nous-mêmes. Pourtant, pour le disciple amoureux du Christ, que peuvent les turpitudes du monde ? Le Christ, au milieu de la foule qui voulait le précipiter dans le vide, n’allait-il pas son chemin au milieu d’eux ?

 

Dans cette période trouble que nous vivons, nous avons à être des prophètes ancrés en Dieu. Des prophètes dont la responsabilité abyssale est de dire le vrai envers et contre tout. Que les lois mortifères submergent le monde ne devraient pas inquiéter notre espérance. Mais il est probable qu’être prophète aujourd’hui soit synonyme de martyr. Oui, l’aire de la chrétienté s’est réduite comme peau de chagrin. Oui, le chrétien est assailli de toutes parts. Mais l’aire de notre intimité avec Dieu en est-elle affectée ? Sommes-nous assaillis à l’intérieur de notre âme ? A ces deux questions la réponse n’est pas sociale, mais spirituelle, car il s’agit de notre intimité personnelle et non collective avec Dieu. Peut-être que notre angoisse apocalyptique repose d’abord sur une crainte personnelle d’être submergé au point de voir le monde comme le siège de notre citadelle intérieure. Peut-être que si, comme le Christ, nous allions notre chemin au milieu du monde, comme Lui ancré dans l’assurance de la vérité triomphante en nous et sur le monde, peut-être passerions-nous de la citadelle assiégée à la civilisation conquérante. Mais ne nous y trompons pas. C’est bien au milieu d’un monde qui hait les chrétiens, comme il a haï le Christ que nous devons être prophètes c’est-à-dire tout à la foi porter la joie de la vérité et révéler la réalité qui écrase le monde. Sortir d’une mentalité défensive ne signifie pas nier la réalité agressive du monde. Cela suppose d’être convaincu que par le Christ tout est possible pour peu qu’on se mette à sa suite, Lui qui est chemin (n’en déplaise à ceux qui se veulent sans Dieu) mais aussi vérité (n’en déplaise à ceux qui l’édulcore) et vie, n’en déplaise à ceux qui cherchent ici-bas seulement leur bonheur ou à y faire le bonheur de leur proche.

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