L’édito – La morale catho n’est pas la morale bourgeoise du XIXème siècle

L’édito – La morale catho n’est pas la morale bourgeoise du XIXème siècle

Nous assistons ces dernières décennies à des pugilats entre catholiques sur la morale, quand on accepte encore d’employer le terme. Les laxistes, les rigoristes, les puritains, les libertaires et ce qu’il reste des autres se divisent sur cette morale perçue comme l’ordre noir, le repoussoir hypocrite, le carcan nourrissant tous les délires freudiens.  On associe la morale au christianisme, qu’il soit catholique ou protestant, ce dernier ayant été le promoteur d’un puritanisme qui n’a rien à envier au jansénisme véhiculé par le premier. De l’un où de l’autre, la morale est devenue un ensemble d’interdits et les dix commandements un couperet impitoyable, laissant perplexe quant à la place réservée à l’éventuelle miséricorde, si toute fois il en restait quelque chose.  Face à cette conception de la vie, perçue comme moralisatrice et réduite au prophète de malheur catholique, en un temps où le protestantisme survit par une forte ouverture relativiste, l’éthique, elle, trace sa route comme satisfecit de bonne conduite.

Tout cela dénote une bien grande méconnaissance de ce qu’est la morale et un procès d’intention livré aux catholiques, l’une comme les autres jetés avec l’eau du bain d’une morale bourgeoise victorienne qui, si elle a pu puiser ses racines dans le décalogue divin, s’est figée dans un rigorisme de pantomime. Il est intéressant, au demeurant, de comparer la vie des catholiques avant et après la révolution française en ce qui concerne les mœurs et le rapport au salut. Les aristocrates catholiques pouvaient être de grands pêcheurs, ils ne s’en cachaient pas et ne faisaient pas semblant d’afficher une perfection sociale de rigueur. Leur rapport au salut et à la confession était du reste bien plus « naturel » et faisaient une grande place à la confiance en la miséricorde, même si cette confiance passait par une multitude de messes commandées. Laissons les vrais méchants qui n’ont pas besoin d‘être catholiques ou de ce siècle pour se cacher de leurs méfaits. De la même manière, la multiplicité des confréries médiévales, puis modernes, dont le but était de s’entraider ici et dans l’au-delà, ceci en dehors de toute obligation légale ecclésiale, témoigne d’une conscience de la réalité de l’état de pécheur qu’on ne cachait pas derrière une apparence de perfection, ainsi que du recours collectif et spontané à la miséricorde. A la bascule du XIXème siècle, un vaste courant puritain a engendré une morale bourgeoise, coiffant d’interdits et d’ostracismes cette réalité du pécheur. Un travers dont l’objet des opérettes d’Offenbach est précisément de démontrer l’hypocrisie. Le juste pêche sept fois le jour, nous dit la Bible. Un état de pécheur inévitable, qui justifie le sacrifice du Christ et dont l’Eglise a, de tout temps, reconnue être composée et qui, loin d’empêcher de vivre ensemble, était une occasion plus grande de s’entraider en vue du salut. Nous sommes alors passés à une société du « purisme », où le pêcheur était le lépreux public qu’on ne devait plus fréquenter. Comme souvent, la peur de succomber soi-même au mal, nous fait exclure l’autre, le condamnant à demeurer dans son péché avec les pécheurs, en une sorte de cour des miracles tenues dans les bas-fonds. De crainte d’être exclu de la société des purs, des fréquentables, on a alors codifié le vivre ensemble dans des normes puritaines et jansénistes, au risque de la schizophrénie. Arriva ce qui arriva, les impurs s’affranchir des codes intenables des purs et les faux purs se trouvèrent bien contents de pouvoir les rejoindre. Bienvenu mai 68.

C’est que peu à peu nous avons perdu le sens du mot moral, devenu norme, règle, rigorisme. Pourtant, que ce soit Aristote ou saint Thomas, la morale n’arrive qu’en fin de parcours dans l’étude de la béatitude. Car la morale n’est pas un ensemble de règles à observer, comme des cases à cocher pour faire carton plein au jour du jugement. La morale, autrement dit les commandement divins (dont la traduction exacte est parole) est un ensemble de lumières qui balisent le chemin vers la béatitude. La morale ne nous dit pas « entre dans les cases », mais « suis le chemin qui conduit vers Dieu ». Si le décalogue nous dit de ne pas voler, ce n’est pas pour nous interdire de voler ou de tuer, mais parce que le fait de tuer ou de voler nous détourne du bonheur. La morale est en fait un chemin de liberté. Quelle prouesse du démon d’en avoir fait un chemin de mort dans l’esprit des gens. Les lois morales ne sont pas là pour condamner et exclure, mais pour révéler au pécheur qu’il n’est pas sur la bonne route. Et la miséricorde, la confession sont là pour aider ce pécheur, une fois son mal identifié à revenir sur le chemin de la grâce. L’excommunication n’est pas l’ostracisme de la morale bourgeoise, mais l’expression par laquelle l’Eglise interpelle le pécheur sur son errance. Aussi, le rejet du pécheur (qui n’est pas l’excommunication), comme taire la vérité du péché sous prétexte de ne pas exclure, sont, l’un comme l’autre, des fautes graves. Elles sont les deux pinces de la tenaille par laquelle le démon, dénaturant la morale, obstrue ou coupe le chemin qui va vers Dieu. Aujourd’hui, malheureusement, nous continuons de nous déchirer autour de cette ligne Maginot de la morale bourgeoise. Ainsi les catholiques demeurent des repoussoirs ou, par peur de repousser, n’osent plus montrer le vrai chemin qui va vers Dieu. Tant que la morale sera revêtue de son carcan surajouté elle ne sera pas le chemin joyeux du bonheur que pourtant elle est.

Cyril Brun, rédacteur en chef

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