L’édito – Quand ils se déchirent sur le dos de Johnny

L’édito – Quand ils se déchirent sur le dos de Johnny

La France toute entière s’est émue face à la mort de celui qu’elle a toujours vu comme ce bel adolescent, éternelle idole des jeunes. Un concert de louanges et de remerciements, souvent sincères, parfois hypocrites et politiques s’est élevé, créant une rare quasi-unanimité dans le pays. A moins que ceux qui ne partageaient pas l’engouement collectif aient préféré garder un silence pudique et décent.

Pourquoi, le tumultueux Johnny Hallyday a-t-il ainsi déchaîné la passion d’un peuple, ou plutôt d’une génération ? Chacun y est allé de son explication, somme toute jamais pleinement satisfaisante. Les témoignages recueillis d’anonymes comme de célébrités ne forment pas un tout aussi homogène que le concert d’hommages. Et au fond cela importe-t-il vraiment ?

On sent, en revanche, à parcourir les réseaux sociaux, que le rockeur est déjà récupéré pour des causes diverses et parfois antagonistes, chacun tentant de profiter de l’émotion générale pour mettre en avant la facette du chanteur qui permettrait de mieux « vendre » ses propres idées. Écartelé après sa mort comme on bradait en son temps les reliques de Claude François, Johnny Hallyday rassemblait en lui de si nombreux contrastes qu’il n’est pas étonnant qu’on ait « tous en nous quelque chose de lui ».

Pourtant, au-delà de cette unité bigarrée dont personne ne voudrait avouer déchirer le blouson de cuir, ils ont trouvé le moyen de se déchirer sur son dos. Les ayatollahs de la laïcité ont révélé leurs propres divisions et malaises, face à une cérémonie religieuse qu’il leur était impossible d’éviter. Priver le héros (pour reprendre Emmanuel Macron) d’une célébration qu’il souhaitait risquait de transformer la ferveur populaire en pugilat des sondages. Le président qui repose le goupillon, Mélenchon qui vomit son fanatisme, la presse qui condamne ceux qui ont été un peu trop ostentatoires et les catholiques qui s’émeuvent de ce  non-respect, voilà le triste spectacle que le fanatisme laïc n’est plus capable d’éviter, malgré la décence revendiquée autour du cercueil blanc.

Mais ce n’est pas le seul conflit larvé à s’être tissé autour du défunt qui, sans doute, se serait bien passé de cette prise à partie. Les catholiques n’ont pas tardé à récupérer ou s’émouvoir eux aussi. Les uns mettant en avant l’affirmation catholique du chanteur, ses dédicaces, ses petites phrases sur le sujet et les autres pointant sa vie dissolue. Combien, pourtant, de catholiques aux mœurs « peu orthodoxes » mais cachées  (ou pas) communient tous les dimanches, voire plus ? Dieu seul sonde les reins et les cœurs, il est vrai et ici le problème est plus celui du positionnement général de l’Eglise que du pauvre homme. Combien également est grande la responsabilité de personnes au charisme national qui par leur vie peuvent entraîner vers Dieu des milliers de personnes ou les en repousser et ainsi être cause de scandale ?

Finalement, par ses funérailles, Johnny Hallyday positionne chacun face à soi-même. Laïcards obtus ou schizophrènes, catholiques exemplaires ou grands pêcheurs, l’unanimité, peut-être exagérée par les medias, qui semble s’être tissée au fil des années autour du rockeur, n’en renvoie que davantage chacun à ses propres excès. Car au fond, la contradiction dans tout cela, c’est un homme à la vie par certains côtés peu recommandable, adulé et respecté envers et contre tout, et qui dans ses excès espère jusqu’au bout Dieu.

« Je suis né catholique, je mourrai catholique », même si l’idole ne mettait (peut-être) pas sous ce terme le contenu exact de la foi catholique, cela n’en reste pas moins une profession de foi à l’heure ou tant et tant de personnalités du showbiz ou de la politique ont renié le Christ. Et en ce sens, Macron au pied du cercueil n’en apparaît que plus emblématique.

Combien subtile est le métier de juge divin pour peser les responsabilités, les blessures, les fragilités, les trahisons qui nous conduisent tous plus ou moins à faire le mal que nous ne voulons pas et ne pas faire le bien que nous voulons !

Une responsabilité nous incombe en tout cas assurément. Refuser de dire où se trouve le bien où se cache le mal quand nous avons la grâce de le savoir, nous rend coresponsables non plus du salut, mais de la souffrance et du malheur des autres.

 

Cyril Brun, rédacteur en chef

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