L’Église, société de la louange divine

L’Église, société de la louange divine

À la Pentecôte, les apôtres réunis au Cénacle sont enveloppés par des langues de feu, tandis qu’un vent impétueux en ouvre les portes. Inondés de lumière, ils sont transformés radicalement. Quittant le Cénacle, ils se trouvent au milieu de la foule que la bourrasque inédite a attirée, attendant quelque chose de neuf et de grand. Toute foule est friande de nouveauté, mais à Jérusalem, ce jour-là, ce fut quelque chose de différent : les badauds courent vers l’éphémère clinquant ; ici dans la foule, on a « faim et soif de la justice divine ».

Les apôtres se mettent à parler et la foule admire « les grandes choses de Dieu », dit le texte, « magnalia Dei » (Act 2, 11). Bien sûr, des esprits mesquins les ridiculisent, attribuant leur discours à un excès de vin. Mais l’ivresse est alors d’un tout autre ordre. Saint Pierre le remarque (Act 2, 15). Au lieu de « la gueule de bois », voici la « sobre ivresse de l’Esprit bue dans la joie de l’Esprit », dit saint Ambroise.

Au cours de la vie publique du Seigneur, et surtout depuis Pâques, les disciples ont approfondi leur sens de la Parole de Dieu concernant notre salut. Mais en cet instant d’effusion de lumière, l’Esprit-Saint les inonde d’une clarté qui leur brûle délicieusement le cœur. Il est « l’autre Paraclet » qui rappelle et « précise tout ce qu’ils ont entendu » de la bouche de Jésus (Jn 14, 26), donnant à leur perception de son enseignement une densité hors pair et exceptionnelle : la plénitude du Christ, Sagesse souveraine, déborde désormais en eux, la Révélation divine leur a tout dit, Dieu a ouvert son Cœur. Le développement du dogme au long des siècles sera toujours en aval de ce moment-source : l’Église désenveloppera peu à peu ce premier dépôt, précisant certains points du dogme pour affronter les épreuves successives rencontrées, mais ce premier dépôt, lui, ne sera jamais surpassé.

Pourtant, le premier contact de l’Église apostolique avec l’humanité n’est pas une leçon de catéchisme. Ici en sortant du Cénacle, le premier jaillissement est plutôt une louange, « magnalia Dei ». D’emblée, l’Église apparaît comme « la société de la louange divine ». Cette extase due à l’admiration n’est prise pour une vulgaire ivresse que par des cœurs fermés : bien au contraire, la louange vient exorciser les drogues qui asservissent l’humanité. La doctrine révélée, « opium du peuple » ? Le Magistère de saint Jean-Paul II a su inverser l’argument en dénonçant les faux messianismes contemporains, les idéologies creuses, grandiloquentes et vaines qui ferment cruellement l’homme sur lui-même (p. ex. 31 mai 1980 à Saint-Denis).

Le concile Vatican II lit l’événement de façon liturgique : l’œuvre de la Rédemption une fois accomplie par le Christ (Sacrum concilium n. 5), c’est l’exercice de la liturgie dans l’Église qui en poursuit l’application : « Le Christ, envoyé par le Père, envoie ainsi lui-même ses apôtres, remplis de l’Esprit-Saint, non seulement pour prêcher l’Évangile à toute créature…, mais aussi afin d’exercer cette œuvre de salut, par le sacrifice et les sacrements autour desquels gravite toute la vie liturgique… C’est pourquoi, le jour même de la Pentecôte, ceux qui accueillirent la parole de Pierre furent baptisés, louant Dieu et ayant la faveur de tout le peuple » (SC n. 6).

Le Concile donne ici du crédit aux intuitions de Dom Guéranger sur l’esprit de la liturgie, fleuron de l’évangélisation permanente, à savoir « la contemplation qui est un si précieux don de l’Esprit-Saint à l’Église de Dieu, comme il l’écrit au début de son Année Liturgique. Sur cette terre, c’est dans la sainte Église que réside ce divin Esprit… Depuis lors, il fait sa demeure dans cette heureuse Épouse ; il est le principe de ses mouvements ; il lui impose ses demandes, ses vœux, ses cantiques de louange, son enthousiasme et ses soupirs… Chacun peut y entendre à toute heure cette voix infatigable qui monte sans cesse vers le Ciel… Le chrétien fervent s’y unit en vaquant à ses fonctions ou à ses affaires dans la mesure où il possède l’intelligence générale des mystères de la Liturgie. »

Le Magnificat de Notre Dame chez sainte Élisabeth se continue dans la louange de l’Église, rejoignant celle des anges au Ciel et l’ineffable chant qu’est le Verbe Lui-même au sein de la Très Sainte Trinité, « chantre unique qui a donné sa voix à la création, chant qui ne s’épuise jamais, chant que nous redisons sans cesse, car c’est toujours le Verbe de Dieu que redisent les Psaumes » et toute la sainte liturgie (Mère Cécile Bruyère, 12 octobre 1888) : l’Église le chante comme Marie, en disant toujours les merveilles de Dieu, magnalia Dei, Magnificat.

 

Un moine pour L’Homme Nouveau

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