L’Indonésie se prépare à élargir le socle des « six religions officiellement reconnues »

L’Indonésie se prépare à élargir le socle des « six religions officiellement reconnues »

Régulièrement présenté dans les médias comme « le pays qui compte la plus importante population musulmane » du globe, l’Indonésie abrite un certain nombre de minorités religieuses. Mis en place il y a un peu plus de cinquante ans, le système des « religions officiellement reconnues » pourrait être prochainement réformé. Le ministère des Affaires religieuses prépare un projet de loi qui ouvrira la voie à la reconnaissance légale de nombreux cultes locaux ainsi qu’à plusieurs autres religions telles le judaïsme ou le zoroastrisme.

Le 5 octobre dernier, le Centre pour la recherche et le développement de la vie religieuse, une entité dépendante du ministère indonésien des Affaires religieuses, organisait à Djakarta un « Symposium international sur la vie religieuse », avec pour sous-titre « Gérer la diversité, renforcer l’harmonie ». Intervenant à ce symposium, le ministre des Affaires religieuses Lukman Hakim Saifuddin s’est déclaré« particulièrement soucieux du fait que des groupes [religieux] minoritaires continuent de souffrir » du fait que leurs membres ne jouissent pas des mêmes droits que les croyants de six religions officiellement reconnues. Il a cité à cet égard les membres des cultes dits « indigènes », un groupe qui rassemblerait quelque dix millions des 249 millions d’Indonésiens, répartis, selon la Conférence indonésienne sur la religion et la paix, en près de 250 cultes distincts. Le ministre a précisé que les restrictions auxquelles se heurtent les adeptes de ces cultes « étaient non seulement une atteinte aux droits de l’homme mais étaient dommageables à l’image de l’Indonésie sur la scène internationale ».

Considéré comme un responsable politique désireux de faire avancer les choses, Lukman Hakim Saifuddin a ajouté que son gouvernement ne pouvait plus ignorer que les adeptes des cultes locaux faisaient bien partie de la nation et qu’ils devaient par conséquent jouir des mêmes droits que les autres citoyens, ceux qui appartiennent aux religions officiellement reconnues. La liberté religieuse étant inscrite dans la Constitution de 1945, les institutions se doivent de rendre effective la diversité inscrite dans la devise de la République indonésienne (‘L’unité dans la diversité’), a fait valoir le ministre, en annonçant qu’une loi en ce sens sera présentée d’ici la fin de l’année à la Chambre des représentants.

Remise en cause du socle politico-social des institutions nationales

Ce faisant, le ministre vient remettre en cause un des piliers du système politico-social indonésien. Contrairement à ses voisins tels la Malaisie et Brunei, deux pays où l’islam a le statut de religion officielle, l’Indonésie, dont le recensement officiel de 2010 indique que 87,5 % de ses habitants sont musulmans, s’est construite depuis l’indépendance de 1945 sur un système reconnaissant leur place aux principales religions minoritaires présentes dans le pays. A travers l’idéologie du « Pancasila » (les cinq principes), les petits Indonésiens apprennent ainsi à l’école que le pays connaît six religions, à savoir l’islam, le protestantisme, le catholicisme, l’hindouisme, le bouddhisme et le confucianisme (la reconnaissance du confucianisme ne remontant qu’à janvier 2000).

Depuis la loi de 1965 sur le blasphème et le régime de l’Ordre nouveau du président Suharto (1966-1998), les Indonésiens sont en effet supposés appartenir à l’une ou l’autre de ces six religions. La carte d’identité de chacun porte ainsi la mention de la religion, une mesure qui avait été instaurée alors que chaque Indonésien devait fournir la preuve qu’il n’était pas communiste ; les communistes étant supposés athées, les Indonésiens, en indiquant sur leur carte d’identité, leur appartenance à l’une des cinq religions reconnues (islam, hindouisme, bouddhisme, protestantisme et catholicisme), montraient ainsi leur non-appartenance au communisme.

Avec la chute de Suharto en 1998, le système a été légèrement assoupli, avec, en 2000, l’ajout du confucianisme à la liste des religions reconnues et surtout, en mai 2015, avec l’abandon du caractère obligatoire de la mention de la religion sur les cartes d’identité. Mais le système est resté globalement en place, certains y voyant un garant du maintien de l’harmonie interreligieuse dans le pays, les autres dénonçant un carcan archaïque forçant les adeptes des cultes non reconnus officiellement à se déclarer musulmans afin d’avoir accès à des emplois dans la fonction publique et à d’autres services dont ils sont souvent écartés (soins, éducation notamment).

Définir ce qu’est une religion

Selon différentes études universitaires, sur les dix millions d’adeptes des cultes locaux, 60 % d’entre eux se sont trouvés contraints de se déclarer comme croyants de l’une ou l’autre des six religions reconnues, le plus souvent l’islam, afin d’obtenir l’enregistrement de leur mariage à l’état-civil ou le droit d’inhumer leurs défunts dans les cimetières publics. Les quarante pour cent restants refuseraient de céder à la pression sociale ambiante et laissent non renseignée la mention de la religion sur leur carte d’identité. Des observateurs locaux ajoutent que les adeptes des cultes locaux ne sont pas les seuls à souffrir de ce système ; c’est aussi le cas des minorités issues de l’islam mais perçues comme déviantes par l’islam sunnite majoritaire en Indonésie, les ahmadis ou les chiites par exemple. C’est aussi le cas des communautés chrétiennes qui rencontrent de très importantes difficultés lorsqu’elles veulentrénover, agrandir ou construire des lieux de culte, les musulmans vivant alentour s’y opposant, y compris par la force.

Selon Alamsyah Djafar, chercheur au Wahid Institute, le projet de loi vient à point nommé car, selon lui, il est urgent que le gouvernement agisse pour mettre fin aux discriminations auxquelles font face les minorités religieuses dans les services publics ou du fait de leur voisinage immédiat. Mais le futur texte de loi touche à un domaine très sensible en Indonésie, à savoir la définition de ce qu’est une religion. Pour l’heure, une religion se définit par le fait d’avoir des adeptes, des écritures, des lieux de culte et un dieu unique, ce dernier point étant la pierre angulaire du Pancasila. Selon la presse indonésienne, le projet de loi ouvrirait la porte à une reconnaissance officielle du christianisme orthodoxe, du judaïsme et du zoroastrisme, des religions monothéistes, mais des difficultés risquent de se poser pour les quelque 250 cultes locaux, issus de l’animisme.

Source : Eglises d’Asie

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