L’islam en mal de créativité

L’islam en mal de créativité

De l’association CLARIFIER :

Pour compléter les Petites Feuilles vertes n° 58 et 59, dans lesquelles Annie Laurent présentait le rapport ambigu que l’islam entretient avec l’histoire, nous vous proposons ici d’en découvrir l’une des conséquences essentielles, à savoir ce qui fait obstacle à la créativité humaine et donc au progrès dans les sociétés qui se réclament de cette religion (PFV n° 61).

Elle sera suivie prochainement par les PFV n° 62 et 63, dans lesquelles seront abordés d’autres aspects de ce problème, à la lumière du passé et d’expériences plus récentes, puis les conditions nécessaires pour une vraie réforme de l’islam, seule à même d’ouvrir la raison à la liberté humaine.

Il s’agit là d’un sujet capital pour comprendre la situation actuelle du monde musulman.


UNE SITUATION PARADOXALE

En 1900, le nombre de musulmans dans le monde était évalué à 200 102 000 fidèles ; aujourd’hui, soit un peu plus d’un siècle plus tard, ils sont environ 1, 800 milliards, soit 24 % de la population mondiale qui approche 8 milliards de personnes. L’islam est désormais présent sur tous les continents.

Ce spectaculaire « bond en avant » démographique et spatial, survenu en si peu de temps, manifeste une vitalité qui s’exprime aussi par d’autres signes : renouveau de la pratique religieuse, retour à des traditions sociales tombées en désuétude au milieu du XXème siècle, une puissance d’attraction et une capacité de nuisance. Cet ensemble d’éléments est largement soutenu par les richesses résultant de l’exploitation de matières premières (pétrole et gaz) ; elles servent au financement de mosquées et d’écoles coraniques, à la rétribution des femmes pour le port du voile dans ses différentes formes, ainsi qu’à l’endoctrinement et au financement du djihad. L’islam est ainsi l’un des acteurs majeurs dans la géopolitique mondiale.

Certains musulmans voient dans ce dynamisme l’annonce du succès final de l’islam garanti par le Coran et la préférence d’Allah pour leur religion.

  • C’est Lui [Dieu] qui a envoyé son prophète avec la direction et la religion vraie pour la faire prévaloir sur toute autre religion, en dépit des polythéistes (9, 33).
  • Vous formez la meilleure communauté suscitée pour les hommes : vous ordonnez ce qui est convenable, vous interdisez ce qui est blâmable, vous croyez en Dieu (3, 110).

Et pourtant, « la quasi-totalité du monde musulman souffre du sous-développement et de la tyrannie », remarquait en 2003 l’orientaliste américain Bernard Lewis. Il étayait son affirmation sur le bilan résultant d’enquêtes menées sous l’égide d’institutions internationales : analphabétisme, indigence culturelle et économique, chômage massif des jeunes, violations des droits de l’homme, aliénation des femmes, censures, atteintes aux libertés publiques, partis uniques, etc., sont autant d’indices qui montrent le retard des sociétés islamiques par rapport à l’Occident et à l’Asie non musulmane (L’Islam en crise, Gallimard, p. 129-135).

Cette situation affecte surtout les pays arabes, centre géographique, historique et culturel de l’islam, dont la population est d’environ 300 millions de personnes. Selon un rapport publié en 2015 par la Ligue arabe, il y avait à cette date 54 millions d’analphabètes, dont une majorité de femmes, dans les 22 Etats membres de cette institution dont le siège est au Caire.

Des intellectuels musulmans admettent et déplorent cette réalité.

En 2004, Ahmed Zweil, savant égyptien émigré en Californie et prix Nobel de chimie 1999, dans une contribution au dossier « Arabes : sortir du marasme » publié par la revue Panoramiques, écrivait : « Où se situent-ils [les Arabes] sur la carte scientifique du XXIème siècle ? Cette région est riche en ressources humaines ; certains pays sont riches sur tous les plans. Cependant, l’ensemble des institutions scientifiques arabes réunies ne peut rivaliser avec une seule institution israélienne comme l’institut Wiseman. La population arabe […] n’a jamais créé une seule organisation scientifique de niveau international » (n° 66, éd. Corlet, p. 75-78).

Le politologue algérien Nour-Eddine Boukhrouh qualifie la situation actuelle de « civilisation naufragée ». Il observe « la perte du sens de l’orientation chez les musulmans, leur obstination à regarder derrière eux au lieu de droit devant, leur attitude méprisante envers les autres civilisations qu’ils croient vouées à l’enfer quoi qu’elles fassent ». Pour lui, les musulmans sont organisés « en système figé qui vit de la créativité des autres, en échange de leurs ressources naturelles » (Islam, la dernière chance, entretiens avec Saïd Branine, éd. Entrelacs, 2018, p. 124). Cela se vérifie dans les grandes universités islamiques, notamment El-Azhar, au Caire, institution ayant un grand rayonnement sur l’ensemble du monde sunnite (elle accueille environ 40 000 étudiants musulmans venant de nombreux pays), où « l’on apprend par cœur des ouvrages au contenu obsolète » (Id., p. 118).

Le contraste est accentué par les moyens de communication modernes qui renvoient aux musulmans l’image de sociétés non islamiques en progrès constant. Les sentiments de frustration qui en résultent étaient d’ailleurs l’une des causes initiales du déclenchement des révoltes arabes en 2011. Depuis lors, non seulement aucune amélioration ne s’est produite mais la plupart des Etats du Proche-Orient et du Maghreb continuent de subir les effets d’une gestion publique désastreuse quand ils ne sont pas touchés par des désordres et affrontements confessionnels ou tribaux, annonciateurs de la dislocation de cette région.

Le monde musulman est ainsi en état de réactivité et non de créativité.

AUX SOURCES DE LA STAGNATION

Le Coran incréé

Au IXème siècle, la nature « incréée » du Coran a été imposée par le calife Mutawakkil siégeant à Bagdad comme un dogme qui n’a jamais été remis en cause officiellement. Contrairement à la Bible, écrite par des auteurs inspirés, le Livre saint des musulmans est considéré par eux comme une dictée divine préexistant à l’histoire, laquelle n’a sur lui aucune influence (cf. PFV n° 58).

« Cette théorie a acquis, à travers le temps et parfois la terreur, le privilège de se présenter aux consciences comme une vérité absolue. Beaucoup de fatouas ont assimilé son déni à de la mécréance », rapporte Razika Adnani, philosophe algérienne (Islam : quel problème ? Les défis de la réforme, éd. UPblisher, 2017, p. 143).

Selon le grand-imam Ahmed El-Tayyeb, recteur d’El-Azhar, « la lecture historique ne peut s’accorder à l’esprit du Coran qui est un texte divin, absolu, valable pour tous les temps et tous les lieux. C’est ce qu’on appelle le miracle inimitable du Coran » (Le Temps, Genève, 22 janvier 2011).

Intangible et immuable, le Coran échappe à toute analyse critique. Lui appliquer un traitement exégétique comparable à celui qui est admis et même encouragé par l’Eglise pour la Bible, impliquant la recherche de sources humaines, historiques ou littéraires à travers l’archéologie, la philosophie ou la linguistique, s’apparente à l’apostasie. Comment analyser « la » langue divine ?

La connaissance, attribut exclusif d’Allah

Il est de même impossible de prétendre connaître Allah «l’inconnaissable », « l’inaccessible » (Coran 42, 4), dont le « mystère est incommunicable » (6, 50 ; 7, 188 ; 11, 31), et de scruter son intention, ce qui revient aussi à apostasier. C’est pourquoi il n’y a pas de théologie en islam. Il y a simplement une doctrine descendue du Ciel et transmise aux hommes par Mahomet, le « sceau des prophètes » (Coran 33, 40), dont l’analphabétisme supposé garantit l’origine et l’intégrité.

Voici la conclusion qu’en tirait au siècle dernier un Marocain, ancien musulman converti au christianisme. « Dieu, par conséquent, est absolument inaccessible à la “saisie” humaine. Et en même temps, Il est omniscient, omniprésent et omni-agissant, au point que l’homme ne peut être dit “créateur” de quoi que ce soit, pas même de ses actions propres. “Créer” est un acte divin, exclusivement divin ; aucune créature ne peut participer à une telle efficience […]. Aussi les penseurs musulmans auront-ils une profonde répugnance à admettre une réelle causalité – même seconde – chez les créatures » (Jean-Mohamed Abdeljalil, Aspects intérieurs de l’Islam, éd. du Seuil, 1949, p. 53).

La connaissance et l’initiative dans l’action n’appartiennent qu’à Allah.

  • Il est celui qui entend et qui sait (54, 7).
  • Il est celui qui connaît ce qui est caché et ce qui est apparent. Il est le Grand, le Très-Haut (13, 9).

C’est d’ailleurs Allah qui enseigne au premier homme le nom de tous les êtres vivants qu’Il a créés. Adam ne les nomme pas lui-même, contrairement à ce que rapporte la Bible où Dieu lui laisse ce soin (Genèse 2, 18).

  • Il apprit à Adam le nom de tous les êtres (2, 31).
  • Dieu, tout est soumis à sa Puissance ; Il exerce sur ses serviteurs une domination absolue. Il est le Sage, l’Informé (6, 17-18).

Le Coran et la science

Simple « intendant » d’Allah, le musulman ne coopère pas avec le Créateur pour féconder la terre, toutes les découvertes scientifiques étant réputées avoir été prévues par le Coran.

Cette théorie, négligée depuis plus d’un siècle, jouit d’un regain de faveur dans l’Oumma (la communauté ou nation islamique), y compris dans certains milieux scientifiques, comme le montre l’universitaire tunisienne Faouzia-Farida Charfi, physicienne. « Aujourd’hui, on ne compte plus les articles sous toutes les formes traitant du caractère miraculeux du Coran et montrant qu’il contient les dernières avancées scientifiques telles que la physique nucléaire, l’envoi de fusées dans l’espace ou la théorie du Big Bang expliquant l’évolution de l’univers » (La Science voilée, éd. Odile Jacob, 2013, p. 87-89).

Cet auteur cite un professeur de mathématiques qui se base sur un verset coranique pour justifier ce concordisme.

  • Le tonnerre grondant célèbre ses louanges. Les anges saisis de sa crainte le glorifient. Il lance la foudre et en atteint qui Il veut. Et l’on ose encore disputer de la puissance de Dieu dont les ripostes sont terrifiantes ?(13, 13).

Des musulmans s’appuient sur certains versets pour affirmer que la terre est plate.

  • La terre ! Nous l’avons étendue (50, 7).
  • Et la terre ? Nous l’avons déployée comme un tapis, et nous l’avons parfaitement étendue (51, 48).
  • Dieu a établi pour vous la terre comme un tapis afin que vous suiviez des voies spacieuses (71, 19). Cf. aussi 78, 6 et 79, 30.

Pour le cheikh Abdoul Aziz Ibn Baaz, autorité suprême de l’islam en Arabie-Séoudite, « la terre est plate, et quiconque dit qu’elle est ronde est un athée et mérite d’être puni » (Cité par Jean-Jacques Walter, Les 2 Islams, éd. Télémaque, 2017, p. 146).

Des organismes officiels, spécialisés en chimie, physique, astronomie, mathématiques, biologie, médecine, géologie, se vouent même à ces démonstrations : le Conseil suprême pour les affaires islamiques (Egypte) ; la Commission internationale du miracle scientifique du Coran et de la Sunna (Tradition mahométane), basée à La Mecque. F.-F. Charfi observe à cet égard : « Un nombre non négligeable d’étudiants musulmans se laissent endoctriner par ces discours qui prolifèrent sur la Toile et à la télévision. C’est un des moyens utilisés pour calmer la frustration de la jeunesse, séduite par les applications de la science moderne dans le domaine de la communication, dont elle n’est que consommatrice ».

Pour cet auteur, tout cela éclaire « la raison de la fermeture du monde musulman à la science : elle n’est acceptée qu’à condition d’être intégrée à la religion, elle n’a pas de domaine autonome » (La Science voilée, op. cit., p. 112-118).

« “Allez jusqu’en Chine requérir la science des hadiths”, fait-on dire au Prophète, maxime que les modernes apologistes de l’islam ne cessent d’ânonner pour prouver l’ouverture de l’Oumma à l’égard de la technique occidentale », remarque le journaliste franco-algérien, Slimane Zéghidour (Le voile et la bannière, Hachette, 1990, p. 107). Mais, explique-t-il, outre que cette citation est réputée non authentique, le mot « science » ne se réfère ici qu’à la religion et en aucun cas aux matières profanes.

POUR CONCLURE

L’islamologue tunisien Mohamed ben Assur (mort en 1973), chercheur au CNRS, déçu par cet attachement au passé de ses jeunes compatriotes, écrivait : « Je suis affligé de constater que nos étudiants continuent de réfléchir comme des personnes du VIIIème siècle » (cité par Karim Ifrak, La réforme en islam, éd. Albouraq, 2018, p. 81).

A SUIVRE

Annie Laurent

Déléguée générale de CLARIFIER

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