L’islam, religion de paix ?

L’islam, religion de paix ?

« Le terme islâm dérive de l’antique racine sémitique slm qui signifiait, tout ensemble, paix et prospérité », explique Slimane Zeghidour. De slm découle notamment shalom, salut de paix en hébreu et araméen. Salâm en est l’équivalent arabe (50 mots d’islam, Desclée de Brouwer, 1990, p. 54). Pour étayer leurs affirmations selon lesquelles l’islam est une « religion de paix », certains musulmans s’appuient sur le fait que les mots « islâm » et « salâm » dérivent de cette même racine (p. ex. Tariq Ramadan, Le génie de l’islam, Archipoche, 2016, p. 80). Pour Tareq Oubrou, imam de Bordeaux, « les deux ne s’excluent donc pas » (Ce que vous ne savez pas sur l’islam, Fayard, 2016, p. 124).

Ces assertions soulèvent deux questions.

1°/ Faut-il en déduire une équivalence entre les deux termes, islâm et salâm ?

2°/ Le mot « paix » revêt-il en islam le même contenu que celui qui est largement admis dans le reste du monde ?

1- Islam et Salâm sont-ils équivalents ?

Étymologie

Islâm. Littéralement, ce mot signifie « soumission ». Le verbe correspondant, Aslama, veut dire : se soumettre, s’abandonner, se rendre, sous-entendu à Dieu. C’est pourquoi les fidèles de cette religion se désignent comme des soumis (« mouslimoun » = musulmans ; mouslim au singulier), ce qui ressort du Coran lui-même :

  • « Il [Allah] vous a nommés les soumis » (22, 78) ;
  • « La religion, aux yeux d’Allah, est vraiment la soumission » (3, 19).

Salâm. Littéralement, ce mot signifie « salut ». Souvent associé à « paix », il figure dans la salutation que les musulmans s’adressent les uns aux autres : As-salâm ‘alaykoum (« La paix [ou le salut] soit sur toi »), rendue familièrement par « salamalec ». As-Salâm (la Paix) est en outre l’un des attributs donnés à Allah par le Coran (59, 23). Comme tel, il est inclus dans la liste des 99 Beaux Noms d’Allah dont la récitation tient une place importante dans la dévotion des musulmans.

Notons cependant que des attributs moins pacifiques se trouvent dans cette liste : Celui qui donne la mort (Al-Mumît) ; le Vengeur (Al-Muntaqim) ; le Tout-Dominateur (Al-Qahhâr) ; Celui qui peut nuire (Ad-Dâr).

Aslim, Taslam

Cette formule signifie : « Soumets-toi [à l’islam] et tu auras la paix ». Elle laisse entrevoir toutes sortes d’avantages ou de bénédictions tels que la santé, la richesse, le pouvoir, la vie sauve, la sécurité, le paradis, etc., en contrepartie de l’adhésion à l’islam.

Aslim, taslam ! est employée pour convaincre de professer l’islam quiconque ne l’a pas encore fait ou y a renoncé. Elle a été largement utilisée dans l’histoire islamique, notamment lors des conquêtes politiques et militaires ; les djihadistes de l’Etat islamique (EI, ou Daech), d’El-Qaïda, de Boko Haram et autres l’ont actualisée en s’emparant de territoires en Irak et en Syrie, en Asie et en Afrique, ou lorsqu’ils commettent des attentats partout dans le monde et réduisent des personnes en esclavage.

Cette injonction repose sur un ordre d’Allah : « Combattez-les [les non-musulmans] jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition et que le culte soit rendu à Dieu en sa totalité » (8, 39).

Selon la Sunna (Tradition), Mahomet aurait lui-même confié à ses proches : « J’ai reçu l’ordre de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils confessent qu’il n’y a de divinité qu’Allah » (d’après Boukhari, cité par Johan Bourlard, Islam-islamisme, éd. Tatamis, 2017, p. 132).

La paix ainsi promise est donc conditionnelle. Elle s’apparente à une forme de chantage, au détriment de toute justice et du respect de la liberté de conscience. La dhimmitude (ou dhimma), statut juridique d’infériorité imposé par la charia aux juifs et aux chrétiens ressortissants de pays où l’islam est religion d’Etat, relève du même principe : elle a pour but ultime d’amener les dhimmis à se reconnaître musulmans. Ainsi, seront-ils bénéficiaires des mêmes droits que leurs compatriotes (cf. PFV n° 29).

2- Le sens de la paix en Islam

Ces définitions montrent qu’en dehors de l’islam, rien ne peut assurer et garantir la paix aux hommes. Islam est bien synonyme de paix mais celle-ci est réservée aux seuls musulmans en leur qualité de « vrais croyants ».

Autrement dit, pour bénéficier de la paix, il convient d’être soumis à Allah, comme l’a laissé entendre le roi Mohamed VI dans un discours prononcé à Rabat le 20 août 2016 à l’adresse du peuple marocain : « L’islam est une religion de paix, comme énoncé dans le Saint Coran : “Ô vous qui croyez, entrez tous dans la paix ” ».

La paix dans l’Ouma

Par ces propos, le souverain chérifien entendait condamner le terrorisme commis au nom de l’islam, mais la citation coranique (2, 208) contenue dans sa phrase suppose une condition pour bénéficier de la paix : appartenir à l’Oumma (la Communauté des croyants). Alors, en tant que frères, les musulmans sont invités par Allah à entretenir des relations pacifiques entre eux.

  • « Les croyants sont frères. Établissez donc la paix entre vos frères. Craignez Dieu » (Coran 69, 10).
  • « Lorsque ceux qui croient en nos Signes viennent à toi, dis-leur : “Salut sur vous !”» (Coran 6, 54).

Ainsi, le souhait de paix qui tient lieu de salutation n’est praticable qu’entre des musulmans. Il « n’a pas à être employé avec les infidèles » (Jean-Paul Roux, Les Ordres d’Allah, Desclée de Brouwer, 2006, p. 127).

Notons au passage que les peuples musulmans ont le plus grand mal à vivre paisiblement les uns avec les autres. La « grande Discorde » (Fitna), par laquelle les historiens désignent les guerres fratricides qui, juste après la mort de Mahomet (632), n’a en fait pratiquement jamais cessé. Cf. Annie Laurent, L’islam, pour tous ceux qui veulent en parler (mais ne le connaissent pas encore), éd. Artège, 2017, chap. II.

Conditions pour la paix

Dans le principe donc, la paix n’est concevable que là où règnent l’islam et la charia. D’où la bipartition géopolitique du monde établie par les juristes musulmans : d’un côté le « Domaine de l’islam » (Dar el-Islam), qui est celui de la paix et de la justice, de l’autre le « Domaine de la guerre » (Dar el-Harb), qui est celui de l’injustice et de la mécréance. Là, les musulmans, en tant que membres du « Parti de Dieu » (Hizb Allah), « sont appelés à porter leur message et leur système par les moyens pacifiques et la persuasion ou par la guerre » (Maurice Borrmans, « Le djihad », in A. Laurent, Vivre avec l’islam ?, éd. Saint-Paul, 1996, p. 76).

Des dignitaires musulmans refusent l’association entre islam et guerre. Ainsi, pour Cheikh Si Hamza Boubakeur, ancien recteur de la Grande-Mosquée de Paris, « l’islam n’est pas une religion de guerre, de violence, d’agression ou de désunion génératrice de conflits » (Traité moderne de théologie islamique, Maisonneuve & Larose, 1993, p. 329). Pour sa part, Tareq Oubrou écrit : « La paix est plus que l’absence de guerre et de violence. C’est un état intérieur, un état d’esprit » (op. cit., p. 123).

On ne saurait nier que bien des musulmans conçoivent certainement la paix de cette manière, qui rejoint d’ailleurs la conception biblique, rappelée par Benoît XVI:

Selon les Saintes Écritures [l’Ancien Testament], la paix n’est pas seulement un pacte ou un traité qui favorise une vie tranquille, et sa définition ne peut être réduite à une simple absence de guerre. La paix signifie, selon son étymologie hébraïque : être complet, être intact, achever une chose pour rétablir l’intégrité. Elle est l’état de l’homme qui vit en harmonie avec Dieu, avec lui-même, avec son prochain et avec la nature. Avant d’être extérieure, la paix est intérieure »

(Exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente, n° 9, 12 septembre 2012 ; cf. aussi Vocabulaire de théologie biblique, éd. du Cerf, 2009, p. 879).

Dans le Coran, la contrainte morale et la violence physique occupent pourtant une place de choix parmi les moyens autorisés, voire imposés, pour propager l’islam. Les verbes « tuer » et « combattre » y sont employés respectivement soixante-douze et cinquante et une fois, dont dix et douze fois à l’impératif.

Il s’agit là d’une exigence stratégique qui pousse Allah à exhorter les musulmans :

  • « Ne faiblissez pas ! Ne faites pas appel à la paix quand vous êtes les plus forts. Dieu est avec vous : il ne vous privera pas de la récompense due à vos oeuvres » (47, 35).
  • Mais, « s’ils [les ennemis] inclinent à la paix, fais de même » (8, 61). Il va de soi que la paix ainsi conçue passe par l’acceptation, consentie ou subie, de l’islamisation.

Et, en définitive, les succès humains prouvent la vérité de l’islam.

  • « Lorsque viennent le secours de Dieu et la victoire ; lorsque tu vois les hommes entrer en masse dans la Religion de Dieu ; célèbre les louanges de ton Seigneur » (110, 1-2).
  • « C’est Lui [Allah] qui a envoyé Son Prophète [Mahomet] avec la Direction et la Religion vraie pour la faire prévaloir sur toute autre religion » (48, 28). Cf. aussi 9, 33.

Il en résulte qu’« ici-bas, la guerre pour la victoire de l’islam doit être poursuivie tant que l’islam n’est pas entièrement victorieux » (Jean-Paul Roux, op. cit., p. 124).

Sur ce sujet et sur le djihad, cf. PFV n° 11.

Pour conclure

Le vocable « islam » est revêtu d’universalité puisque cette religion est destinée à imposer « sa » paix au monde entier. En ce sens, il est en concurrence avec le christianisme qui a, lui aussi, une vocation universelle. Mais une différence fondamentale oppose les deux religions. Dans une étude approfondie sur « Violence et sacré dans le Coran », Jean-Benjamin Sleiman montre comment la doctrine coranique assume l’héritage d’une culture de la violence et du rapport de forces. « Il est clair que la violence pour Dieu passe avant la vie des autres » (in A. Laurent, Vivre avec l’islam ?, op. cit., p. 35-74).

Quant à la doctrine chrétienne relative à la paix, elle exclut tout projet de domination, ainsi que tout manquement à la justice et à charité. « C’est vers cette paix authentique en Dieu que le Christ nous conduit. Il en est la seule porte (Jn 10, 9). C’est cette porte unique que les chrétiens désirent franchir » (Benoît XVI, op. cit.). L’Evangile apporte une perspective totalement nouvelle et bienfaisante par rapport aux principes de l’Ancien Testament, repris en partie par le Coran.

Comme dans bien d’autres domaines, la similitude de mots dans les cultures islamique et chrétienne n’implique ni la même signification ni les mêmes implications.

Annie Laurent, déléguée générale de CLARIFIER

 

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