Manifeste pour un conservatisme social – Une proposition catholique parmi d’autres

Manifeste pour un conservatisme social – Une proposition catholique parmi d’autres

L’Institut Montalembert, dont les travaux reposent sur la doctrine sociale de l’Eglise vient de publier un manifeste pour un conservatisme social. Entre catholiques progressistes, catholiques libéraux, catholiques conservateurs, libéraux-conservateurs, voici que se glisse le conservatisme social. De quoi ouvrir le débat politique de 2018

 

Le conservatisme en politique, c’est croire que le politique n’a pas pour vocation de changer les hommes mais de créer les conditions pour que chacun puisse davantage se réaliser et se libérer dans ses communautés d’appartenance.

Croire : un conservateur ne prétend pas détenir la vérité. Il reproche aux progressistes de prétendre transformer la réalité en fonction de leur idéal ou de leur idéologie alors que les connaissances humaines sont trop limitées pour justifier de telles prétentions.

Le conservatisme applique une sorte de principe de précaution humain : il s’appuie sur ce qui fonctionne, dans l’économie, dans les institutions, dans la science, pour progresser pas à pas. Le conservatisme n’accepte pas que la société soit un champ d’expérimentation grandeur nature.

Le conservateur croit que chaque homme a en lui-même les ressources pour s’accomplir, améliorer sa situation et celle de ses proches. Cette foi en l’homme a été caricaturée dans les propos imputés au grand président américain conservateur Ronald Reagan : voyant un clochard il aurait refusé de lui faire l’aumône indiquant que si ce clochard le voulait vraiment il avait en lui-même la force de se sortir de la rue.

Le conservatisme européen doit-il aller jusque-là ? Cela paraît contradictoire avec la tradition catholique, où l’aumône est au même titre que la prière et le jeun un passage obligé vers le salut. C’est même en contradiction avec la réalité américaine où la générosité privée est la plus élevée au monde : un Américain donne en moyenne une plus grande partie de son revenu aux œuvres caritatives qu’un Européen.

Surtout, s’il est bon de croire que chaque homme est appelé à accomplir sa vie, il est faux d’affirmer que toute vie peut s’accomplir sans recevoir aucune aide. Certaines personnes ont besoin d’être aidées. Et peut-être, en réalité, toute personne a besoin d’être aidée, temporairement ou de façon permanente : la famille, l’amitié, la communauté locale, religieuse, et la communauté nationale sont là pour aider leurs membres à se réaliser.

On peut en ce sens parler de conservatisme social : la foi en l’homme n’empêche nullement d’apporter une aide à celui qui en a besoin.

Ne pas changer les hommes : Le conservateur est donc convaincu de la légitimité de l’intervention de l’Etat dans la société. Mais il y apporte une limite : une solution proposée par l’Etat n’en est une que lorsqu’elle suscite l’adhésion de ceux qui doivent la mettre en œuvre.

Le conservatisme est cette voie étroite entre l’interventionnisme absolu de l’Etat moderne et le libéralisme qui lui fait souvent contrepoids dans le débat public mais laisse à l’arrière-plan la solidarité constitutive de la société.

Il y a certainement là une impasse de la politique moderne : on n’aurait le choix qu’entre la rigueur du chacun pour soi et l’interventionnisme de l’Etat financé plus ou moins à fonds perdus. Le débat politique serait ainsi confisqué entre les partisans d’un isolationnisme radical et ceux d’une solidarité n’ayant pour limite que la bonne volonté des argentiers du monde.

Pourtant opter entre ces deux extrêmes n’est pas satisfaisant car dans les deux cas il faut renoncer à une dimension essentielle de notre humanité : l’isolationnisme absolu rejette toute solidarité, la solidarité absolue rejette toute responsabilité. Or les communautés humaines se construisent dans le progrès de ces deux dimensions de l’homme. On n’apprend à marcher qu’en utilisant ses deux jambes. Pour cela, il n’est pas nécessaire de changer les hommes, mais de prendre en compte ces deux aspirations contradictoires dans la définition des politiques.

C’est ici que la campagne présidentielle de 2017 apparaît porteuse d’espoirs et de déceptions : espoirs car la gauche moderne d’Emmanuel Macron a rompu avec l’utopie socialiste ; déceptions car la victoire d’Emmanuel Macron s’est obtenue par l’éviction de François Fillon qui portait pourtant une vision de l’entreprise et de la solidarité nationale beaucoup plus accomplies, qui n’ont pu s’exprimer.

Il reste donc à construire, notamment dans les médias, ce débat entre deux visions du progrès : l’une qui considère que le progrès s’oppose aux communautés traditionnelles, l’autre qui considère qu’il ne peut au contraire se réaliser durablement que dans ces communautés.

Créer les conditions pour que chacun puisse davantage se réaliser et se libérer dans ses communautés d’appartenance :

Les mouvements populistes qui sont réapparus en Europe, et en dernier lieu en Allemagne, pourraient bien traduire la frustration des Européens devant l’impasse faite par nos démocraties sur ce débat. La réaction populaire devant cette impasse est naturellement maladroite voire contre-productive, mais on n’avancera pas vers les véritables solutions si on n’écoute pas le désarroi que cette réaction traduit.

Il faut prendre cette question au sérieux : comment concilier l’aspiration de certains à la préservation du patrimoine et des valeurs traditionnelles avec l’indispensable progrès technique et économique ? Pour certains, ce n’est pas un sujet. Mais écarter ce débat est-il compatible avec la vitalité de notre démocratie ?

Voilà le point de vue que les conservateurs devraient pouvoir défendre dans le débat : le progrès technique se réalise dans la recherche des solutions permettant de renforcer les communautés soi-disant traditionnelles mais qui en réalité sont loin d’avoir été réellement accomplies dans le passé.

Pour un conservateur, il y a beaucoup de travail à faire et beaucoup de techniques à inventer pour réaliser véritablement les différentes communautés qui permettent à l’individu de devenir une personne : la famille, l’entreprise, la communauté locale et les élus qui constituent les corps intermédiaires au sommet desquels se trouve le Parlement, la nation qui n’existe que par l’amour d’un peuple pour son histoire et les réussites passées, présentes et à venir.

Il faut réaliser une famille où chacun a sa véritable place, où les parents aident réellement les enfants à prendre leur autonomie. La psychologie, les loisirs jouent ici leur rôle aux côtés de l’autorité et de la discipline.

Il faut réaliser une entreprise où la contrainte du marché nourrit la créativité et l’intelligence qui permettent d’éviter les tricheries et les choix inconséquents.

Il faut réaliser une communauté locale où se créent de réelles solidarités et une réelle liberté par l’organisation de l’espace et les délégations de service public, notamment dans l’éducation et la protection sociale.

Il faut réaliser une communauté nationale fondée sur une juste appréciation de l’histoire, des forces et des faiblesses de la nation face aux défis des temps modernes.

Dans tous ces domaines, la technique peut être mise au service d’un véritable progrès, ou se fourvoyer et perdre le sens collectif.

En conclusion, le conservatisme ne peut par nature pas s’imposer : il est contradictoire de prétendre imposer par la force la réalisation de communautés qui sont fondées sur l’adhésion volontaire et heureuse de la personne.

C’est la difficulté du conservatisme : il répond à une aspiration profonde des sociétés modernes, mais il se prive des manifestations de force qui facilitent la prise du pouvoir dans les démocraties.

Mais cette difficulté est aussi un espoir : que les Français et la France sortent de l’impasse qui oppose progrès et conservation.

C’est cet espoir d’un conservatisme social qu’il faut entretenir et proposer aux Français.

Léger MOISSAC

Responsable de la lettre politique de

 

L’Institut Ethique et Politique Montalembert

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