Musique et religion dans l’entre-deux-guerres – Au-delà des sens, le sens

Musique et religion dans l’entre-deux-guerres – Au-delà des sens, le sens

Au-delà des sens, le sens…..

 

« Musique, art et religion dans l’entre-deux guerres » tel est le titre ambitieux du volume paru récemment sous la double direction scientifique de Sylvain Caron et Michel Duchesneau.  Une trentaine de contributeurs, pour la plupart fort réputés (citons Robert Follon ou Pascal Lécroart) se sont penchés avec passion sur cette question, trop peu posée aujourd’hui et pourtant si emblématique d’une époque. Le titre du colloque dont cet ouvrage est issu demeure cependant ambigu. « L’Observatoire international de la création et des cultures musicales » a organisé, à l’Université de de Montréal du 9 au 11 mars 2006, un colloque intitulé : «Musique, art et religion dans l’entre-deux guerres : la construction d’une culture en pays francophone. »  De prime abord on s’attendrait à trouver dans ce volume des contributions abordant diversement les différentes formes d’art. On se demande du reste, sceptique, pourquoi isoler la musique de l’art ? Les inspirations d’Euterpe ne seraient donc pas de l’art ? Il faut, en réalité, comprendre non pas la musique, art parmi les autres, mais le rôle joué par celle-ci, dans son rapport aux autres arts (essentiellement la peinture, la littérature et la danse) pour façonner le paysage culturel. Plus largement, au fil des contributions, le lecteur, même averti, prends mieux conscience de l’influence exercée par les musiciens sur les fondements culturels d’une époque. 

            Suivant un plan fort bien agencé, cet ouvrage réussit à redonner l’effervescence d’une époque et d’un certain milieu. Bien plus qu’un simple tableau événementiel, les auteurs font ressurgir les doutes, les troubles, les questions mêmes de ceux qui écrivirent une page tout à la fois historique, artistique et philosophique. Car le fond de la question est bien là. Dans l’apparente insouciance des années folles, comme si personne ne semblait en prendre conscience, ou ne voulait le regarder en vérité, un fort mouvement tellurique disloquait la Pangée originelle. Le vieux monde était écartelé entre deux continents qui paraissaient ne plus pouvoir se rejoindre.  Conscients de cette nouvelle tectonique, les intellectuels du moment tentèrent, par le truchement de l’art, de conquérir l’autre continent. Le vieux continent, celui issu de l’ère catholique, était fortement ébranlé par le modernisme et le rationalisme. C’est donc tout naturellement autour du pape et particulièrement du motu proprio , Tra le solicitudine et du thomiste Jacques Maritain que se groupèrent les défenseurs du vieux continent. Paraissait alors au grand jour ce conflit spirituel, conflit moral et par là conflit d’esthétique.

            Voilà donc la toile de fond qui sert de décor  aux débats des différents contributeurs. Leurs interventions souvent complémentaires, n’en sont pas moins parfois contradictoires. C’est ainsi le cas des points de vue de Gilles Routhiers et Michel Steinmetz. Remarquons cependant que l’acharnement (fort peu documenté) de G. Routhiers  à faire passer le pape Pie X pour un demeuré n’est guère crédible et discrédite une thèse jamais argumentée, sans aucune référence et toujours empirique et péremptoire. À l’inverse la démonstration du père Steinmetz  semblerait  trop pro domo si elle n’était minutieusement référencée et fort critique. 

            N’en demeure pas moins qu’il convenait de décortiquer l’encyclique Tra le solicitudine pour comprendre, dans un contexte particulier, l’effervescence qui vit le jour autour de l’art sacré et particulièrement de la musique. Le contexte historique, bien rappelé dans son lien avec la production musicale, les conditions morales, spirituelles et sociétales de la création artistique finement posées, il convenait ensuite d’illustrer concrètement ce bouillonnement. Plus qu’une illustration, ce furent des morceaux choisis, parce qu’emblématiques des problèmes posés ou des auteurs considérés. Notons cependant, à ce niveau, une réelle inégalité des contributions – comme c’est souvent le cas lors de colloques. La première partie du volume, comme la dernière, sont de haute, voire de très haute tenue (particulièrement l’apport de Robert Follon), tandis les autres sont plus irrégulières voire singulièrement creuses par moments.

                En quelques mots, on peut dire, au-delà de ces dernières restrictions, que ce recueil permet une véritable mise en lumière d’une époque riche et complexe. Les spécialistes y découvriront quelques perles peut-être, mais apprécieront sûrement cette mise en perspective enrichissante. Les néophytes, sauf quelques passages philosophiques ardus, pénétreront assez facilement au plus intime des artistes et se poseront avec eux la question la plus cruciale qui soit, celle du sens. Peut-être, grâce à ce colloque, trouveront-ils eux aussi de quoi avancer une réponse.

 

Sylvain Carron, Michel Duscheneau (sd) : Musique Art et religion dans l’entre-deux-guerres, Symétrie

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