ONU : quand le Comité des droits de l’homme révise la définition du “droit à la vie”

ONU : quand le Comité des droits de l’homme révise la définition du “droit à la vie”

Le Comité des droits de l’homme de l’ONU veut imposer la légalisation de l’avortement et de l’euthanasie à tous les pays.

A l’ONU, le Comité des droits de l’homme révise actuellement la définition du ‘droit à la vie’ en droit international, mentionné dans le « Pacte international relatif aux droits civils et politiques », signé en 1966 par les Etats-parties. Par ce biais, et dans la plus grande discrétion, une minorité active veut imposer à tous les Etats la légalisation de l’avortement, du suicide assisté et de l’euthanasie au nom même du droit à la vie.

L’interprétation du Comité a suscité l’inquiétude de nombreux observateurs qui ont envoyé leurs contributions. Elles feront l’objet d’une étude du Comité qui décidera ou non de les prendre en compte dans la déclaration finale qui doit être adoptée dans les prochains mois.

Christophe Foltzenlogel, juriste à l’ECLJ[1], revient pour Gènéthique sur les enjeux majeurs de cette révision.

Gènéthique : Le Comité des droits de l’homme de l’ONU révise actuellement sa définition internationale du « droit à la vie ». Quel est le contenu de ce nouveau texte ? En quoi est-il problématique ?

Christophe Foltzenlogel : Ce Comité, qui rassemble 18 experts, est chargé de rédiger une interprétation officielle des dispositions du « Pacte international relatif aux droits civils et politiques ». De manière cyclique, il publie des « observations générales » sur les différents articles du Pacte et prépare donc actuellement ses observations sur l’article 6, celui concernant le droit à la vie. Dans cette version du projet, le Comité parle notamment de l’usage des armes létales, circoncit l’usage de la peine de mort pour les États ne l’ayant pas abolie, et parle des obligations positives des États de protéger la vie, etc. Le grand problème de ce texte, c’est qu’il introduit un droit à l’avortement et à l’euthanasie au nom du droit à la vie. L’article 6 du Pacte est très clair : « Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ». Pourtant, le Comité considère qu’il faut permettre l’avortement pour que les femmes y aient recours de manière « sûre » et invite les États à légaliser l’euthanasie afin de garantir un droit à une « vie digne ».

G : Pourquoi le Comité des droits de l’homme s’est-il engagé dans la modification de cette définition ? Une date anniversaire ? Une demande de certains Etats ?

CF : Le Comité est chargé par le Pacte qui l’a créé de vérifier son application et de publier des observations sur son application. Donc ces observations sont un processus conventionnel normal et régulier. Il semble plutôt que des membres du Comité utilisent ce mécanisme pour promouvoir l’avortement en droit international. Les experts sont en principe indépendants et la volonté de certains d’entre eux de légitimer l’avortement et l’euthanasie est probablement plus due à des présupposés culturels libéraux et progressistes qu’à une véritable pression extérieure.

G : Ces modifications ont suscité des réactions. Quelles sont les personnes, ONG, Etats qui ont choisi de contribuer au débat ? Quel est le contenu, le sens de leur contribution ?

CF : Toute personne qualifiée pouvait intervenir, par conséquent les réactions envoyées au Comité furent nombreuses : 21 États sont intervenus, plusieurs agences et organes de l’ONU, une trentaine d’experts ou professeurs et un peu plus de 100 ONG ou associations nationales, dont l’ECLJ au nom de plus de 130.000 pétitionnaires. Les États susceptibles de se voir reprocher des aspects de leur législation nationale sont intervenus ainsi qu’un grand nombre d’ONG « pro-vie » ou « pro-mort » sur l’avortement et l’euthanasie ou encore pour l’abolition de la peine de mort. Une centaine d’interventions a défendu la protection de la vie et seules une trentaine sont favorables à l’avortement et/ou au suicide.

Le fait que les États-Unis aient écrit dans leur contribution que « toutes problématiques relatives à l’accès à l’avortement sont en-dehors du champ d’application de l’article 6 » est très positif. À noter également que le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU souhaite la suppression de la phrase qui demande aux États d’autoriser l’avortement « lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste ou que le fœtus présente des malformations mortelles ». Ses motifs sont tout à fait pertinents : « Les lois qui autorisent explicitement l’avortement en raison d’un handicap violent la Convention des droits des personnes handicapées (Art. 4,5 et 8). Même si l’état de santé est considéré comme risquant d’être létal, la décision est toujours prise sur la base du handicap. Bien souvent, on ne peut affirmer qu’un handicap sera létal. L’expérience montre que les diagnostics de handicaps sont souvent erronés. Même s’ils ne sont pas faux, cette affirmation perpétue le préjugé selon lequel le handicap serait incompatible avec une vie heureuse »[2].

Enfin, les contributions du Danemark et du Royaume-Uni illustrent le décalage culturel affligeant qui est en train de se créer : alors qu’une majorité d’États dans le monde interdit l’avortement à la demande, ces deux pays s’offusquent que l’on parle de « femmes enceintes » car cela exclut les personnes transgenres ayant accouché !

G : L’Etat français a choisi d’envoyer sa contribution : quel en est le contenu ?

CF : De manière surprenante, la contribution de la France est plutôt bonne. Là où la Suède et la Finlande se sont dépêchées de soutenir le paragraphe pro-avortement du Comité, la France a fait un commentaire complet sans soutenir expressément l’avortement et en critiquant l’autorisation de l’euthanasie. Elle cite notamment la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui affirme que l’on ne peut tirer du droit à la vie un droit diamétralement opposé, un droit à la mort. Le représentant français propose donc la chose suivante : « Que les termes « accélérer la fin de vie » soient remplacés par « offrir un allégement de la souffrance » et que les mesures de prévention contre le suicide prises par les Etats comportent notamment la promotion des questions de santé mentale. »

G : Que va-t-il se passer maintenant ? La nouvelle définition peut-elle être rejetée ? Reportée ? Modifiée ? Adoptée telle quelle ?

CF : Le Comité s’est réuni le 27 octobre et début novembre pour analyser ces commentaires afin de réviser ses Observations générales. Les discussions sont allées dans une très mauvaise direction. Parmi les membres défavorables à un « droit à l’avortement », plusieurs ne sont pas venus aux réunions et seule l’Allemande, Anja Seibert-Fohr, a tenté en vain d’obtenir la reconnaissance de « l’intérêt légitime des États à protéger la vie du fœtus ».

Le Comité n’a presque pas tenu compte des commentaires. Certains, comme le Français, Olivier de Frouville et Sarah Cleveland des États-Unis, ont voulu voter le paragraphe dans une version encore plus radicale que celle que nous avons critiquée. L’expert tunisien, Yadh Ben Achour est allé jusqu’à prôner l’élimination prénatale des fœtus handicapés. La seule bonne nouvelle est qu’ils n’ont pas réussi à finir l’examen du paragraphe et n’ont donc pas pu l’adopter. Les discussions reprendront courant mars 2018.

G : Cette nouvelle définition peut-elle s’imposer aux droits des pays ? Pourquoi ? De quelle façon ? Quelles en seront les implications ?

CF : En principe oui, mais c’est assez délicat. Les Observations générales de ce Comité représentent en quelque sorte le summum de la « soft law », c’est-à-dire du droit qui s’applique de manière non contraignante aux États. Si le Comité venait à affirmer un droit à l’avortement au titre du droit à la vie, les États pourraient dénoncer une telle interprétation, dire que ce n’est pas ce à quoi ils se sont engagés lorsqu’ils ont signé le Pacte. Néanmoins, sur la scène internationale cela leur sera reproché continuellement par d’autres États et d’autres ONG. Il s’agira pour eux de résister à cette pression internationale en étant montrés du doigt. La Cour européenne et d’autres juridictions ou Comités internationaux utiliseront également ces observations du Comité pour pousser les États vers la légalisation de l’avortement. Les États favorables à l’avortement ou surtout les partis politiques nationaux pourront invoquer le droit international pour appuyer leurs tentatives de légaliser l’avortement dans certains pays. Par exemple, là où l’avortement est interdit, le gouvernement ou un parti pourrait proposer un projet de loi légalisant l’avortement en ayant comme argument la nécessité « de se mettre en conformité avec le droit international »…

G : La proposition de texte est-elle une avancée pour les droits de l’homme ? Pourquoi ?

CF : Non, globalement le texte est une redite générale de choses déjà établies par le traité et la jurisprudence du Comité et ce qu’il ajoute sur l’avortement et l’euthanasie est objectivement contraires au principe à défendre. Il part du présupposé que l’avortement pourrait être « sûr » dès lors que légal et réalisé par des professionnels de la santé, alors qu’il n’y a aucun geste médical « sûr », il y a toujours un risque. Il y a surtout une éradication de la protection de la vie de l’enfant à naître. Alors même que le fœtus voit son existence protégée dans cet article 6 à travers l’interdiction d’infliger la peine de mort sur une femme enceinte, il est absolument ignoré par le Comité dans ce projet d’observations. Comme nous l’avons dit dans le résumé de nos observations :

« Sous les apparences d’un progrès de l’autonomie individuelle, l’affirmation de la « liberté de mourir » et du « droit de tuer » est une régression des droits de l’homme portée par une conception inégalitaire de l’homme qui admet, voire encourage le sacrifice des plus faibles. Ce sont les femmes pauvres et isolées, les personnes âgées, malades, handicapées et les enfants à naître qui vont en être les victimes, comme en témoignent déjà les statistiques de l’avortement et de l’euthanasie. Si une telle interprétation devait prévaloir, le respect de la vie humaine ne serait plus garanti qu’aux seuls êtres nés et en bonne santé, abandonnant la vie des plus fragiles au pouvoir des plus forts et ouvrant la voie à l’eugénisme et au transhumanisme. Cette conception de l’humanité est précisément celle qui a été condamnée en 1948, lors des procès de Nuremberg. »

[1] European Centre for Law and Justice : www.eclj.org

[2] Traduction libre.

Source  et Généthique.org

 

 

Sur la notion de droit à la vie aussi  le droit à la vie est il un droit ?

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