Patriarche Louis Sako: “On sent combien la haine était profonde contre tout ce qui était chrétien”

Patriarche Louis Sako: “On sent combien la haine était profonde contre tout ce qui était chrétien”

Dans le cadre de la visite du cardinal Barbarin à Mossoul, le site Internet de La Vie a publié un entretien avec le patriarche de Babylone des chaldéens, Mgr Louis Sako. Pour le patriarche de l’Église catholique chaldéenne, l’occupation par l’État islamique a été révélatrice d’une haine profonde, non accidentelle, mais bien consciente, contre les chrétiens. “On ressent presque un sacrilège, on sent combien la haine était profonde contre tout ce qui est chrétien, alors que nous sommes pour la paix. Nous avons beaucoup donné aux musulmans, sur le plan culturel, interreligieux… ” Il confie ses espoirs, mais également ses craintes, notamment sur les risques démographiques causés par le non-retour des chrétiens: “dans la plaine de Ninive, près de Mossoul, si les chrétiens ne retournent pas dans leurs maisons, d’autres y aspirent. Il y a un risque de changement démographique.

Voici quelques extraits de cet entretien:

Pourquoi allez-vous à Mossoul aujourd’hui ?

Mossoul est une ville très symbolique, elle représente toute la civilisation assyrienne, chrétienne puis arabe et musulmane. Toute la mosaïque irakienne existe à Mossoul. Pour nous, chrétiens, c’était le berceau du christianisme : toute notre liturgie a été formée et organisée au couvent dit « d’en haut », comme nous l’appelions par le passé car il était sur une colline de la ville. Aujourd’hui c’est le monastère de l’Immaculée. Toute la liturgie de ce qui s’appelait l’Église d’Orient a été promulgué là-bas. C’est un lieu de mémoire.

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Qu’est ce que le diocèse de Mossoul d’aujourd’hui ? C’est un lieu, mais ce sont aussi des personnes qui sont parfois bien éloignées les unes des autres…

Nous avons eu dans l’histoire beaucoup de diocèses qui ont été effacés par les guerres, puis les chrétiens ont été persécutés et maintenant, que reste-t-il à Mossoul ? Les églises ont été presque détruites : des pierres enlevées, les portes et les toits percés… Il y règne un désordre extraordinaire. On ressent presque un sacrilège, on sent combien la haine était profonde contre tout ce qui est chrétien, alors que nous sommes pour la paix. Nous avons beaucoup donné aux musulmans, sur le plan culturel, interreligieux… Les premiers médecins étaient chrétiens, les premiers avocats aussi, et c’est sans compter les hôpitaux, les instituts de formation… Aujourd’hui encore, notre solidarité est pour tous : nous venons à Mossoul avec des colis alimentaires pour 3000 familles, dans un geste envers ceux qui sont toujours à Mossoul. J’ai parfois le sentiment que les musulmans oublient vite cette longue histoire.

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Mais comment la faire connaître à nouveau ?

Je crois que la seule solution pour tous est un état séculier avec, donc, une séparation de la religion et de l’État, et comme projet commun la citoyenneté. Jusqu’à présent dans mon pays, il n’y a pas eu de projet de citoyenneté qui inclurait tout le monde, quelle que soit sa religion. Or la religion s’expose mais ne s’impose pas. En tant que citoyen, j’ai le droit au respect… Et moi-même, je suis d’abord Irakien et ensuite chrétien. La terre est mon identité : même le Christ a une citoyenneté, l’Évangile dit qu’il a pleuré pour Jérusalem. Nous souffrons beaucoup de voir notre pays dans une telle situation.

Certains ont d’ailleurs quitté cette terre…

Après la guerre Irak-Iran, beaucoup de jeunes sont partis pour éviter le service militaire. Et quand le régime est tombé, d’autres ont suivi, affaiblissant encore la situation des chrétiens. Nous étions un million et demi avant la chute, aujourd’hui il n’y a pas de statistique mais on parle de 400 000 à 500 000 personnes. Mais il y a un avenir pour chacun de nous en Irak ! Sauf qu’il n’adviendra pas par magie, il ne descend pas du ciel automatiquement. L’avenir, ça se construit avec les autres. Cela passe par bâtir des liens de confiance : tous les musulmans ne sont pas mauvais, tous ne sont pas Daech. Et les chrétiens non plus ne sont pas tous bons.

Une réconciliation est-elle possible pour ceux qui sont partis ?

Moi, je garde en tête mon histoire : je suis retourné voir la maison de ma famille à Mossoul, et tous nos meubles avaient été pris par nos voisins. Ils me l’ont dit, ils ne savaient pas quand et si on reviendrait et ils se sont servis. Ce n’était pas pour faire du mal, ils en avaient besoin. Cela ne fait pas d’eux des voleurs.

Il faut soutenir les chrétiens d’Orient dans leur résistance, leur espérance et leur témoignage car, par leur spiritualité, ils sont un appui pour le christianisme occidental.

Comment faire face aux enjeux pastoraux ?

Certains prêtres sont partis rejoindre des communautés de chaldéens réfugiées à l’étranger… mais je crois que le clergé doit rester, sinon tout le monde partira. Aujourd’hui, nous avons 70 prêtres chaldéens, et des moines. Dans le pays, il y a environ un prêtre par paroisse, avec des exceptions : à Bagdad, j’ai 25 paroisses dont 8 sont presque fermées car il y a moins de chrétiens sur place. À Mossoul, il n’y a pas de paroisse car les chrétiens ne sont pas encore revenus. Quand les gens reviendront, petit à petit, je réparerai mon Église et je ferai une paroisse.

Quels sont les enjeux à Mossoul ?

Il faut d’abord reconstruire physiquement : l’Irak n’est pas un pays riche, et ce que nous avons finance l’armée, des armes… Aujourd’hui, seul le pétrole rapporte. Il n’y a pas beaucoup d’industries et l’agriculture s’est appauvrie, alors que nous avions une bonne production avant. Le tourisme était un point fort, mais c’est entièrement à l’arrêt. Il y a surtout un grand risque qui couve dans les camps de déplacés musulmans en Irak : s’ils ne peuvent pas trouver du travail, avoir une maison pour vivre avec leur famille, nous risquons un nouveau Daech.

Rebâtir aussi pour les chrétiens : dans la plaine de Ninive, près de Mossoul, si les chrétiens ne retournent pas dans leurs maisons, d’autres y aspirent. Il y a un risque de changement démographique. D’autant que, même si on ne voit pas de quoi l’avenir sera fait, je crois que petit à petit, en reprenant nos marques sur place, on pose les jalons pour que les choses changent.

Les étudiants chrétiens qui étaient en nombre à l’université de Mossoul pourront-ils revenir ?

C’est vrai qu’il y avait 10 000 étudiants chrétiens dans cette université. Aujourd’hui ils sont à Bagdad, Erbil, 800 sont à Kirkouk… Avec la situation de tension actuelle, avec des voiles partout alors qu’il n’y en avait quasiment pas à Mossoul, je ne sais pas s’ils vont revenir. En même temps, dans les écoles chrétiennes, il y a beaucoup d’enfants musulmans, c’est une manière de préparer l’avenir, préparer une génération prochaine plus sensibilisée à la convivance.

Est-ce vous vous sentez soutenu par l’Église du monde ?

Par des visites comme celles des évêques français aujourd’hui (…), nous sentons que nous ne sommes pas isolés, mais la position de l’Église paraît parfois timide. Les orientaux sont très importants pour l’Église, nous avons une grande richesse liturgique et spirituelle à offrir au christianisme occidental : nous sommes l’origine du christianisme, donc notre présence a un sens ici. Il faut soutenir les chrétiens d’Orient dans leur résistance, leur espérance et leur témoignage car, par leur spiritualité, ils sont un appui pour le christianisme occidental.

SOURCE – La Vie

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