“La Prière”, le film vu par le philosophe Bertrand Vergely

“La Prière”, le film vu par le philosophe Bertrand Vergely

Théologien orthodoxe, croyant, et auteur prolifique sur la foi, Bertrand Vergely décrypte l’acte de prier à la lumière de la philosophie. Alors que sort en salles le film de Cédric kahn, dans lequel Thomas, un jeune toxicomane, intègre une communauté religieuse pour se désintoxiquer, le philosophe rappelle que la prière est l’une des activités les plus importantes de l’humanité.
« Je me définirais comme agnostique, confie le cinéaste Cédric Kahn. Je n’ai aucune certitude. Je respecte les gens qui sont croyants et je peux même les envier. La foi est une affaire intime qui, par beaucoup d’aspects, dépasse largement le cadre des religions. » Son agnosticisme n’a pas empêché le réalisateur de Roberto Succo d’intituler son nouveau film La Prière… La foi affichée par le philosophe orthodoxe Bertrand Vergely, habitué du mont Athos, ne lui interdit pas de considérer la prière comme une philosophie – « la pensée du sens de la vie » pour reprendre les termes de Wittgenstein, cités en exergue à son essai, Prier, une philosophie (éd. Carnets Nord). Nous avons demandé à Bertrand Vergely de se confronter au film de Cédric Kahn. Entretien avec un philosophe prolifique, conférencier très actif, auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pédagogiques sur les grands penseurs de la tradition et sur des thèmes comme la souffrance, la foi, le bonheur, la mort ou l’émerveillement. Prière contre prière…

Pourquoi le film s’appelle-t-il, selon vous, La Prière ?

Pour éveiller prophétiquement notre époque. Notre monde ne croit pas que la religion et la vie spirituelle peuvent changer l’homme et la société. Ce film montre le contraire, en mettant en scène la vie d’une communanuté de jeunes toxicomanes qui se désintoxiquent et reviennent à la vie grâce à la vie spirituelle. Il existe, près d’Orléans, une communauté de ce type tenue par les « petits gris », un ordre spirituel appartenant à l’Eglise catholique. Dans le film, la scène de la confession collective au cours de laquelle les jeunes de la communauté racontent leur parcours, est magnifique. Les trois préceptes de cette communauté – prière, travail et amitié – me semblent très justes. Ils touchent trois plans de la vie humaine : le plan concret, cosmique, terrien avec le travail. Le plan humain, personnel, affectif, intime avec l’amitié. Le plan divin, céleste, ineffable, avec la prière.

“Prier est une mise en condition qui fait passer du plan humain au plan spirituel.”
Quel rôle la prière joue-t-elle dans le film ?

La prière est mise en scène à chaque fois qu’il y a des passages à effectuer. Ainsi, dès que le héros, Thomas, arrive dans cette communauté, il est initié à la prière. Celle-ci lui permet de penser à autre chose, de couper le cordon ombilical qui le relie au monde et à ses tentations. La prière intervient comme outil d’intériorité. C’est parce qu’un toxicomane pense à la drogue qu’il a envie de se droguer. En se mettant à prier, il pense à autre chose. Il attaque, grâce à la prière, le noyau dur de la toxicomanie.

La rationalité, écrivez-vous dans Prier, une philosophie, a tendance à séparer l’action et la prière. Le film illustrerait plutôt l’un de vos propos : « La prière se révèle être action et l’action prière »…

Pour le rationalisme, rien n’est plus inutile que la prière, prier étant le fait de ceux qui n’agissent pas, qui attendent un miracle en priant pour qu’il advienne. Or, rien ne peut exister si on ne le fait pas advenir. On ne fait rien sans le faire de tout son être. C’est ce que veut dire la prière, qui est, en ce sens, extrêmement agissante. C’est la raison pour laquelle elle est l’une des activités les plus importantes de l’humanité, ainsi que le montrent les espaces, les temps et les rites qui lui sont consacrés. Pour beaucoup d’êtres humains, la prière est le moteur de la vie : elle exprime la vie qui se mobilise entièrement pour vivre. Pascal le rappelle dans sa préface au Traité du vide : il n’y a pas de raison sans un désir sous-jacent raisonnant de tout son être.

En quel sens la prière est-elle liée au désir, à « l’audace de désirervraiment », comme vous l’écrivez, désir que semble incarner le personnage de Thomas ?

André Comte-Sponville voit dans la prière un désir qui s’enchante lui-même, à travers une parole, et une parole qui s’enchante elle-même, à travers un désir. Ce serait vrai si la prière n’avait pas un destinataire. Dans la vision matérialiste et athée de Comte-Sponville, Dieu n’existant pas, c’est ne rien prier que prier Dieu. Dans le cadre de la foi, il en va autrement. Quand il y a enchantement, c’est Dieu qui enchante et non le désir ou la parole. On prie quand on demande vraiment et pas simplement quand on demande. D’où le lien entre prière et puissance audacieuse du désir…

 

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