Secours catholique – Rapport sur la pauvreté 2017 – Agir contre les préjugés

Secours catholique – Rapport sur la pauvreté 2017 – Agir contre les préjugés

Lutter contre les préjugés, un combat accessoire ?

Il apparaît au contraire essentiel, tant ces idées reçues détruisent l’estime de soi et la confiance en l’autre chez les personnes qui en sont la cible, et morcellent la société. Le Secours Catholique a lancé au printemps une grande campagne appelant à les démanteler. À l’heure où elle publie son nouveau rapport sur l’état de la pauvreté en France, l’association poursuit ses efforts aux côtés des personnes en précarité afin de sensibiliser contre ces a priori qui freinent la mobilisation contre la pauvreté. Les préjugés ne sont pas que des mots. Ils pèsent, écrasent les personnes, déchirent la société et freinent la lutte contre la pauvreté. Autant de raisons pour lesquelles le Secours Catholique s’emploie à les faire tomber.

 

« Je pourrais remplir un cahier entier avec les réflexions que j’ai entendues, dit en soupirant Sandrine. J’étais en surpoids, avec des problèmes de santé. En plus, je viens d’une famille gitane. J’entendais souvent : “Quand on veut bosser, on bosse…” » ou : “Il ne faut pas l’embaucher, c’est une voleuse !” »

Soutenue par son fils, cette Stéphanoise a encaissé les coups. En Haute-Loire, Étienne a lui aussi subi des préjugés. Père de six enfants, obligé de quitter son travail de salaisonnier après une « grosse déprime », il a essuyé des remarques, « des mots qu’on n’oserait même pas répéter ».

« On me disait que c’était de ma faute, que j’étais plus doué pour faire des enfants que pour travailler de mes mains, résume-t-il avec pudeur. J’étais fragile, ça a fini par me faire plonger. » Ultime mortification, comme si la dure réalité de la précarité ne suffisait pas, le regard stigmatisant, nourri de stéréotypes, colle à la peau et fait des dégâts.

“On se sent visé, discrédité, capable de rien et on ne sort plus” John, qui fréquente un accueil de jour

« Cette étiquette, on se la garde, confirme Christine, une Varoise qui a  souffert des clichés liés à sa situation de bénéficiaire du RSA. « À force, on se dit que si les autres pensent cela de nous, c’est que ça doit être vrai. »

L’intériorisation des a priori est l’un des aspects mis en évidence dans un rapport québécois sur les conséquences des préjugés (Rapport de documentation “Ensemble pour agir sur les préjugés” du Collectif pour un Québec sans pauvreté, février 2017). S’y ajoutent la honte, le stress, la perte d’estime de soi, les problèmes de santé, les idées suicidaires.

« On baigne dans des discours sur le mérite et la réussite, sur les fainéants et les gens au RSA qui mangeraient des steaks tous les jours », déplore John, qui fréquente l’accueil de jour du Secours Catholique de Metz« On se sent visé, discrédité, capable de rien et on ne sort plus. »

Avec l’auto-exclusion viennent des sentiments de colère et de révolte. « Les préjugés font du mal au vivre-ensemble », estime Chantal, alliée ATD Quart Monde, qui anime un groupe de parole à l’accueil de Metz. « Quand on pose un regard négatif sur une personne, difficile pour elle ensuite de poser un regard positif sur les autres. C’est un malaise qui se répand dans toute la société. »

Les smicards en veulent aux chômeurs, les chômeurs aux migrants… « On se monte les uns contre les autres », ajoute Maurice, qui a vécu dix mois dans son fourgon, à Bordeaux, et vu les regards se détourner de lui.

UN OBSTACLE À LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

Toxiques pour la cohésion sociale, les préjugés font obstacle à la lutte contre la pauvreté. Dans certains cas, ils aboutissent au non-recours aux droits.

« Chez nous, les agriculteurs renoncent à demander la prime d’activité par peur d’être montrés du doigt », observe Alain Guérin-Boutaud, délégué du Secours Catholique en Haute-Loire. Étienne, lui, a longtemps eu honte d’aller chercher son colis d’aide alimentaire à la mairie de son village.

Les préjugés rongent les liens familiaux et de voisinage, empêchent les solidarités de proximité. « Je devais régulièrement justifier mon RSA auprès de ma belle-famille, se souvient Christophe, de Metz. L’idée que j’aurais dû travailler bénévolement en contrepartie revenait. »

« Au lieu de se juger, s’émeut Étienne, pourquoi ne pas s’entraider ? » Les rengaines sur l’assistanat fournissent aussi des alibis aux pouvoirs publics pour ne pas imaginer de solutions ou pour mener des politiques qui entretiennent ces idées reçues.

À titre d’exemple, le Défenseur des droits s’alarme, dans un récent rapport**, du ciblage des contrôles à la fraude sociale sur les personnes dites à risques qui « contribue à renforcer les préjugés selon lesquels les bénéficiaires de minima sociaux sont des fraudeurs ».

A”vant, dans les villages, il y avait la messe, les fêtes patronales, les cafés où ouvriers et cadres  mêlaientCes lieux se raréfient”. Benjamin Gaillard, du Secours Catholique en Franche-Comté

Comment faire taire ces refrains nocifs ? « En créant un désir d’aller vers l’autre », propose Chantal, d’ATD Quart Monde. « En multipliant les temps de partage qui permettent de déplacer les regards », renchérit Alain Guérin-Boutaud.

« C’est un travail de longue haleine », souligne Benjamin Gaillard, du Secours Catholique en Franche-Comté. Après avoir interpellé les candidats aux dernières législatives par la voix de personnes en précarité, la délégation compte rappeler aux élus le besoin d’espaces collectifs.

« C’est le meilleur moyen de faire tomber les préjugés. Avant, dans les villages, il y avait la messe, les fêtes patronales, les cafés où ouvriers et cadres se mêlaientCes lieux se raréfient. »

Dans la Gironde, un groupe nommé “Nouvelle alliance contre les préjugés” envisage des actions auprès des médias, des élus et du public. À Saint-Étienne et dans le Var, on utilise le théâtre pour bousculer les certitudes. « Par l’action collective et l’accompagnement, les personnes relèvent la tête, se réjouit Benjamin Gaillard. Et elles retrouvent une place. »

Retrouvez l’intégralité du rapport sur le site du secours Catholique

Le Secours Catholique-Caritas France publie jeudi 9 novembre 2017 son rapport statistique annuel, avec le soutien de la Fondation Crédit Coopératif.

Ce rapport repose sur l’analyse de plus de 85 000 situations distinctes parmi les 1 438 000 personnes – 67 000 adultes et 671 000 enfants – rencontrées en 2016 par les 67 900 bénévoles de l’association.

Les constats issus de ces données chiffrées permettent de dessiner le paysage de la pauvreté en France, région par région.

Ils fournissent aussi de la matière pour déconstruire les préjugés envers les personnes en précarité et interpeller sur le thème de la cohésion sociale.

 

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