Thaïlande – De l’opium au café, l’initiative réussi d’un prêtre italien

Thaïlande – De l’opium au café, l’initiative réussi d’un prêtre italien

Caffé Bruno : le café à l’italienne des tribus du nord

Les tribus de la région montagnarde du nord de la Thaïlande, dans la province rurale de Lampang, se sentent encouragées par l’initiative du père Bruno Rossi, prêtre italien, qui a lancé le « Caffé Bruno » en 2013. Un projet qui permet aux tribus Lahu, Hmong, Akha, Karen et Yao de renoncer à la culture de l’opium et de sortir de la pauvreté.
Le père Bruno Rossi fait tourner une poignée et appuie sur un bouton. Et voilà un expresso bien brûlant, prêt à être servi. Cela fait partie du quotidien de ce prêtre italien, qui vit parmi les tribus des collines, de la région montagneuse du nord de la Thaïlande. Le père Rossi est le créateur éponyme du « Caffé Bruno », une petite entreprise qui assure la promotion et la vente de grains de café Arabica finement torréfiés, produits par des petits agriculteurs des tribus des collines, pour la plupart catholiques, dont les tribus Lahu, Hmong, Akha, Karen et Yao.
Le Caffé Bruno annonce vendre un café Thaï au « plus pur arôme italien », servi par des jeunes des tribus environnantes, qui seraient autrement au chômage. L’établissement, populaire parmi les touristes, se trouve dans le centre catholique Marie Reine de la Paix (Mary Queen of Peace Center), dans un district rural de la province de Lampang, où le père Rossi, 49 ans, vit en paroisse depuis 1999. « Mon nom est sur la devanture, mais c’est leur café », tient à préciser le père Bruno.
Avec son nez aquilin et sa barbiche grisonnante, le père Rossi peut faire penser à une version Broadway de Don Quichotte. « J’aide les agriculteurs de la région à vendre leur production », explique le prêtre. « De plus, avec les bénéfices de la vente du café, nous pouvons financer la scolarité des enfants des villages alentour. » La mission du père Rossi intervient auprès de près de 800 enfants de 40 hameaux du coin, qui peuvent ainsi recevoir une éducation et participer à des activités extrascolaires au sein d’une des quatre écoles catholiques de la région, où ils peuvent apprendre l’arithmétique et la langue thaïe, entre autres. Ils apprennent aussi leurs traditions ancestrales, et le week-end, ils revêtent les costumes traditionnels de leurs tribus. « Je veux qu’ils se souviennent de leurs racines, qu’ils soient fiers d’eux-mêmes. C’est très important », pour le père Rossi, lui-même fils de charpentier, originaire d’un petit village du nord de l’Italie, près de Padoue. « Leur culture est leur plus grand trésor. »

Médaille d’or en 2014

Le prêtre a lancé cette boutique en 2013, afin d’aider les petits producteurs locaux à vendre leur production à un meilleur prix. « Les grains de café qu’ils produisent sont d’excellente qualité, mais ils les torréfiaient à tel point qu’ils en faisaient du charbon », raconte-t-il. « Une grande partie de leur production était gâchée, c’était vraiment dommage. » Il a voulu changer cela. Le prêtre a appris comment torréfier et produire du bon café. Il a lancé des appels aux dons en Italie, en vendant des souvenirs produits par les enfants des tribus de sa paroisse. Il a également pu se procurer un torréfacteur et une machine à café professionnelle, provenant d’Italie. Il était fin prêt.
Un an plus tard, en 2014, l’expresso du Caffé Bruno s’est vu attribuer une médaille d’or par l’Institut international des goûteurs de café (IIAC), lors d’une compétition à Brescia, en Italie. « Cette médaille est un miracle », prétend le père Rossi, à moitié en plaisantant. « Faire torréfier du café, c’est un peu comme élever des enfants. Vous devez faire ressortir les meilleures qualités que les grains, comme les enfants, ont déjà en eux. » Le prêtre assure sans relâche la promotion du café de ses paroissiens, présentant leur production lors des salons et foires commerciales, à Bangkok et dans d’autres villes thaïlandaises. Il achète le café non torréfié aux agriculteurs, à un prix au-dessus des taux du marché. Puis il le torréfie, et le vend dans des paquets de 250 g, affichant une image des tribus en pleine récolte, avec la devise « Respect for People and the Environment » (respect des personnes et de l’environnement). « J’essaie de les aider à s’élever hors de la pauvreté, et je veux le faire d’une telle manière qu’ils puissent continue à vivre leur vie traditionnelle, grâce à leurs terres. L’idée est de les aider à devenir autosuffisants », explique le père Bruno.
Selon le père Rossi, beaucoup de jeunes des tribus quittent leurs petites communautés pour tenter leur chance en ville, ce qui les transforme souvent en victimes. Les jeunes filles finissent parfois par tomber dans la prostitution pour survivre, et les garçons risquent d’être entraînés vers des activités criminelles ou vers d’autres formes d’exploitation. Même au village, la vie peut être dure. Beaucoup de hameaux n’ont pas l’électricité ni l’eau courante. Beaucoup de locaux survivent donc en labourant la terre, mais certains n’ont même pas de terre à labourer. « Les problèmes de drogue viennent alors s’ajouter au problème de la pauvreté », regrette le père Rossi, qui rend visite régulièrement aux hameaux pour distribuer des vêtements, des sacs de riz et des plantes en pot, pour les villageois les plus démunis.

De l’opium au café

Bualoi Jamoo peut témoigner de la misère de son village. « Nous n’avons pas de revenu régulier. Nous vivons au jour  le jour », explique la jeune femme Lahu, de 28 ans, qui a participé à une foire commerciale à Bangkok avec le père Rossi, récemment, pour faire la promotion du café de la communauté. Naja Jacha, 23 ans, également Lahu, le confirme. « Notre vie est dure », ajoute-t-elle. Son hameau manque d’un accès stable à l’eau potable, il faut pour cela emprunter une vieille route qui peut devenir dangereusement boueuse durant la saison des pluies. Les téléphones portables sont arrivés au village, mais cela reste un luxe pour la plupart d’entre eux, la communauté vivant loin de tout. Leur isolation peut être pour eux à la fois une bénédiction et une malédiction. Une bénédiction, car cela préserve leurs coutumes ; et une malédiction, car ils peuvent tomber dans un cercle vicieux autodestructeur.
« Avant, nous faisions pousser de l’opium, mais aujourd’hui, mais nous avons commencé à produire du café », explique franchement Tua Jangaroon, 57 ans, un agriculteur Hmong. « Les gens étaient devenus accro à l’opium. Ils perdaient leur temps et restaient intoxiqués toute la journée. » Catholique, de la paroisse du père Rossi, Tua vend aujourd’hui sa propre marque de café, « Hilltribe », torréfié maison avec sa femme Mhee. « Le café est une bien meilleure culture que l’opium », ajoute Tua. Dans les montagnes de Lampang, là où se trouvent aujourd’hui les plantations de café Arabica, poussaient autrefois les cultures d’opium. La récolte de l’opium est interdite en Thaïlande, et bien que certaines communautés continuent de faire pousser des pavots d’opium clandestinement, la plupart des tribus cultivent aujourd’hui le café ou le thé.

Café durable

« Cette terre est parfaite pour la récolte du café », assure le père Rossi. Les plantations de café s’épanouissent particulièrement bien à l’ombre des grands arbres, dans les forêts en haute altitude. La région montagneuse de Lampang était donc parfaitement adaptée à la récolte du café. « Le café peut aussi être une culture très respectueuse de l’environnement », selon Thirach Rungruangkanokkol, directeur exécutif de l’association Agricultural and Food Marketing for Asia and the Pacific (Marketing agricole et alimentaire pour l’Asie et le Pacifique), qui vient en aide aux tribus en soutenant une agriculture durable, aux côtés du projet du père Rossi. « Pour avoir du bon café, ils doivent protéger les grands arbres », explique Thirach. « Et si les villageois continuent de protéger les grands arbres sous lesquels ils produisent du café, ils protégeront leurs forêts. » Beaucoup sont reconnaissants envers l’initiative du père Rossi, et de plus en plus de villageois pouvent témoigner des effets positifs de la récolte du café dans leurs vies. « La production du café a été très bénéfique pour nous », reconnaît Teppirak Yang, 22 ans et membre de la tribu Karen, dont la famille, animiste, s’est convertie au catholicisme il y a quelques années. « Caffé Bruno est le cœur de notre communauté. Nous pouvons vendre notre production au père Bruno et profiter du fruit de la vente pour mener une vie meilleure. Grâce à lui, cela nous ouvre à de nouvelles opportunités. »

 

Source EDA

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