Traductions liturgiques, les enjeux du détail

Traductions liturgiques, les enjeux du détail

S’il est un point de détail qui ne l’est pas c’est bien la parole divine sur laquelle s’appuie la foi des chrétiens. Nous savons, et l’histoire des hérésies et des schismes le montrent suffisamment, combien une erreur d’interprétation peut éloigner du sens donné par Dieu Lui-même à travers les écrits bibliques.

Des écrits qui ne sont, rappelons-le, que la mise par écrit de paroles. Qu’il s’agisse d’une tradition orale de récit ou de paroles prononcées, la Bible est d’abord une seule Parole livrée par Dieu par son Verbe. Une parole confiée à un peuple élu pour cela et qui donc l’a reçue dans une langue, une culture et une tradition. C’est parlant avec le langage de ce peuple élu, langage, comme toute langue, porteur d’une civilisation qui en est la clef d’interprétation que Dieu s’est dit au monde.

La langue de Dieu c’est le Christ, exprimée en hébreux, en araméen et en grec à partir de la Septante et de certains écrits du Nouveau Testament. Penser grec et transcrire en latin, penser araméen et transcrire en grec, n’est pas la même chose que penser araméen et parler araméen ou penser grec et parler grec.

Lorsque l’Hébreux pense “psaume”, il met l’accent sur le chant et la parole. Le grec lui sur la musicalité et l’instrument. Le traducteur est un traître dit le proverbe latin, car traduire signifie faire des choix dans la polysémie des mots. Une traduction ne rendra jamais qu’une partie du sens porté par le mot d’origine. Plus délicat, il sera porteur de sens propre à la traduction que ne porte pas le mot traduit.

A cela, il faut ajouter la particularité de l’Hébreux langue sémitique, qui compose les mots à partir du sens des lettres qui le composent. Ainsi “fils” est composé des mots père et maison car c’est le fils qui hérite de la maison du père dont il est la semence. Chose que notre traduction “fils” ne reprend pas, mettant de côté l’héritage et mettant en avant la filiation.

Aussi, traduire est-il un enjeu capital pour rendre l’esprit plus que la lettre, l’Esprit plus que l’auteur inspiré. Une véritable traduction doit se référer à l’original dans ses trois langues, hébreux, araméen et grec. C’est ce que fit saint Jérôme en traduisant la Vulgate, donnant au passage une version “universelle” pour toute l’Eglise. Une  version revue et retravaillée au fil des âges, mais qui a donné au texte latin d’être un moyen d’unité dans l’Eglise.

Aujourd’hui, peu nombreux sont ceux qui comprennent le latin et il faut à la traduction des traductions. Et là commence la division. Traduire quoi ? L’original ou la traduction latine ? Mais surtout traduire “quoi” ? Comment traduire en autant de langues vernaculaires et respecter le sens de l’original sans “dévier” en autant de directions que de traductions ?

Car modifier d’un iota le sens n’est pas seulement trahir la traduction, mais trahir la Parole elle-même, le Verbe, le Logos, le Dabar. Se pose alors la question de “pour quoi” traduire et pour qui ? Pour quel usage ? La Bible est un recueil à méditer, à mastiquer, à contempler. Pour ce faire, nos Bibles regorgent de notes, de renvois et de propositions de traductions différentes. Il n’est pas rare qu’une Bible sérieusement présentée nous dise avoir fait tel choix mais que tel autre est aussi possible. Il n’est pas possible d’aborder les textes bibliques sans un dictionnaire et même sans un minimum de culture de civilisation hébraïque et romaine ou grecque et même égyptienne. Car ne l’oublions pas “les psaumes c’est de l’hébreux”! Autrement dit c’est le cœur d’une culture qui, pour nous occidentaux, ne veut pas dire grand chose. (C’est pourquoi InfoCatho vous propose de découvrir petit à petit le monde biblique.)

A la distance de la langue s’ajoute la distance de l’Histoire et de la civilisation. Et en effet comprendre la Bible en Vérité, c’est à dire pas seulement dans sa superficialité, cela demande du travail, de la rigueur et parfois de suer sang et eau. Il est faux de dire que la compréhension biblique est immédiate et facile. Justement elle nécessite une médiation, ne serait-ce que celle de la connaissance. Alors pourquoi Jésus a-t-il béni son Père d’avoir révélé cela aux simples ? Parce que la connaissance n’est pas un savoir érudit, il est la sagesse de l’écoute. Or pour comprendre ce que Dieu nous dit, il faut se rendre disponible à l’écouter. Il faut passer du temps avec Lui. Et s’aventurer dans la Bible c’est s’engager dans une expédition qui prend du temps. Il faut commencer par aller le chercher là où Dieu a souhaité se montrer, en Terre Sainte. Lorsque nous partons visiter un pays, rencontrer des  personnes d’une autre culture, nous nous renseignons, nous nous informons, pour “bien faire”, pour mieux comprendre, pour se repérer. Est-ce là travail de savant ? Non, c’est une disposition du cœur à la rencontre de l’autre. Telle est l’attitude de celui qui veut cheminer dans la Bible. Et au chercheur infatigable et sérieux, il n’est besoin ni de déménager à Babylone, ni de suivre les cours intensifs d’Araméen. Les savants, eux, ont justement mis leur science au service de notre faiblesse et à notre portée. L’Eglise a aussi offert aux fidèles, car telle est sa mission, la richesse de sa Tradition dans la connaissance de la Parole divine.

Reste alors la question de la lecture biblique au cours de la liturgie. Nous ne disposons pas de bibliothèque, ni de tutoriels sur youtube pendant l’office. Nous recevons une parole divine traduite et portant le sens de la traduction, sans pouvoir affiner notre lecture. Qu’est-ce qui donc est important dans cette lecture ? Sa réception communautaire, parce que l’Eglise, corps du Christ, est ecclesia  assemblée et que son unité se fait précisément dans le Verbe qui unit par sa parole et par son Saint Sacrifice.

La traduction liturgique est d’abord un signe d’unité du peuple qui reçoit la même parole. Mais l’unité ne s’entend pas que dans le cadre de la communauté locale qui écoute. L’unité, pour être le corps du Christ, doit englober toutes les petites communautés locales du monde entier. Ce que réalisait la traduction latine de façon visible. Et c’est pour cela que Benoît XVI souhaitait que les traductions en langues vernaculaires collent au plus près à la traduction latine, celle-ci demeurant la référence.

Mais aujourd’hui certaines conférences épiscopales se plaignent de la rigidité de ces traductions, au point qu’elles sont quasiment toutes bloquées ou refusées. L’argument principal invoqué par les conférences épiscopales est la compréhension des fidèles. Cela sous-entend que le texte doit être immédiatement “parlant” pour l’auditeur. Nous l’avons vu c’est une utopie.  Et l’homélie sert précisément à rendre le texte compréhensible. Il y a là une lourde confusion entre audible et compréhensif. Ce que souhaitent les commissions liturgiques c’est que le texte soit audible pour l’homme d’aujourd’hui, alors qu’il faut le rendre compréhensible.

Il est un fait culturel majeur aujourd’hui, c’est l’appauvrissement du vocabulaire et du niveau de vocabulaire y compris des élites. Faut-il donc sans cesse descendre au plus bas ou au contraire faire monter au plus haut le peuple des fidèles ? Benoît XVI a passé son pontificat a réexpliquer le sens des mots. Il partait du niveau de compréhension de son auditoire pour le hisser à celui de la parole.

Le danger d’un nouvel appauvrissement des traductions liturgiques est de modifier la compréhension de la parole même de Dieu par ce double mouvement propre à la traduction, de perte de sens et d’attribution d’autres sens. Or plus les mots sont vagues, plus les amalgames sont faciles. Plus les termes sont appauvris, plus nous nous éloignons de la subtilité de chaque mot.

Le détail n’en est pas un lorsqu’il s’agit de la Parole de Dieu. Modifier un iota peut défigurer le visage même du Christ. S’écarter d’un iota peut de proche en proche modifier la trajectoire du marcheur et le conduire à l’abîme en lieu et place du Ciel.

 

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